Les enregistrements d'Ernest Ansermet avec le Royal Opera House Orchestra de Covent-Garden, un double album 33 tours de fête!
Du 13 au 16 janvier 1959 Ernest Ansermet travaillait au Kingsway Hall avec le Royal Opera House Orchestra, Covent Garden, pour enregistrer un double album avec des extraits de divers ballets, en commémoration de sa période de direction des Ballets Russes, et pour honorer la mémoire de Diaghileff:
* Peter Tschaikowski, Extraits de la Suite du Casse-Noisette, Op. 71a (Marche, Danse de la fée Dragée (Dance of the Sugar Plum Fairy), Danse arabe, Danse chinoise, Danse des Mirlitons, Valse des fleurs (Waltz of the Flowers)
* Gioachino Rossini, arrangement d'Ottorino Respighi, extraits de La Boutique Fantasque (Tarantella, Andantino mosso, Can-Can)
* Leo Delibes, Extraits de Coppelia (Prélude - Mazurka, Introduction et Valse, Czardas (Danse hongroise), Valse de la poupée)
* Adolphe Adam, Extraits de Giselle (Introduction et Valse, Pas de deux et Variation)
* Peter Tschaikowski, Extraits du Lac des Cygnes, Op. 20 (Scène (moderato), Danse des petits cygnes (moderato), Pas de deux, Valse)
* Robert Schumann, Extraits de Carnaval, Op. 9, orch. Glasunow et Rimsky-Korsakow (Pierrot, Reconnaissance, Pantalon et Colombine, Aveu)
* Peter Tschaikowski, Extraits de la Belle au Bois-Dormant, Op. 66, Introduction: Prologue - The Lilac Fairy, Rose Adagio, Valse)
* Frederic Chopin, Extraits des Sylphides (orch. Roy Douglas) (Prélude, Mazurka, Valse)
Le tout est paru chez RCA Victor en décembre 1959 sur ce légendaire double album LD 6065 (mono) et LDS 6065 (stéréo). Il en est également paru une édition sur 45 tours, un coffret de 9 disques.
Une partie - les extraits du Casse-Noisette, les extraits de Giselle, les extraits de Coppélia et les extraits du Carnaval - a été rééditée en juin 1967 sur le disque VICS 1066. Les extraits du Casse-Noisette sont parus en janvier 1972 sur le disque SPA 173.
La première parution sur CD... À l'exception de la Marche du Casse-Noisette parue en juin 1989 sur le CD Decca 421 634.2DC, la totalité de ces enregistrements n'est parue pour la première fois sur CD qu'en juillet 2008, bien entendu chez Decca Australie dans leur admirable série Éloquence, double CD 442 9986!
La seconde face du premier disque se termine avec deux extraits de Giselle, le ballet composé par Adolphe Adam: c'est - à ma connaissance - les seuls extraits d'une oeuvre de ce compositeur qu'Ernest Ansermet a enregistré pour le disque. Ernest Ansermet a certainement dirigé le ballet entier pendant sa période avec les Ballets Russes, mais n'a enregistré - beaucoup plus tard - que ces deux extraits.
Le ballet Giselle - ou les Wilis - met en scène l'amour entre Giselle - une paysanne - et Albrecht, le fils du Duc de Silésie. Le livret est de Théophile Gautier, s'inspirant lui-même d'un thème d'un ouvrage de Heinrich Heine, "De l'Allemagne", qui traite de la légende des wilis, ces fiancées mortes la veille de leurs noces, qui entraînent les voyageurs imprudents dans des rondes mortelles la nuit tombée. En apprenant qu'Albrecht, qu'elle aime, est le noble fiancé d'une princesse, Giselle meurt: c'est la fin du premier acte. Dans le deuxième acte, la Reine des Wilis, esprits des jeunes filles mortes vierges, décide qu'Albrecht doit mourir. Il est condamné à danser jusqu'à la mort mais l'esprit de Giselle, en dansant avec lui, arrive à le sauver.
Pour le premier extrait - Introduction et Valse - Ernest Ansermet a choisi les 25 mesures précédant la première entrée en scène de Gisèle (Andante) et le Alla Breve se situant avant la valse, dans le premier acte. Le premier thème est un duo entre les cordes et les vents - symbolisant l'amour de Gisèle et Albrecht - un thème qui revient souvent pendant le ballet. Entrent ensuite en scène les filles du village, chargées de paniers pour recueillir les grappes de raisins. Giselle leur demande de la rejoindre dans une danse.
La deuxième pièce - Pas de deux et Variation - est extraite du deuxième acte: une mélodie des altos conduit au pas de deux.
Adolphe Adam, Deux extraits de Giselle, Royal Opera House Orchestra Covent Garden, Ernest Ansermet, Kingsway Hall, 13-16 janvier 1959
1. Introduction et Valse 05:08 (-> 05:08)
2. Pas de deux et Variation 04:44 (-> 09:52)
Le onzième Concert de l'abonnement de la saison 1960-1961 - dont provient cet enregistrement - tel que présenté par William RIME dans la revue Radio TV Je vois tout du 8 mars 1961:
"[...] Le concert de ce soir ne manquera pas de réunir à l'écoute un nombreux auditoire. Il y a pour cela plusieurs raisons: la venue du baryton Dietrich Fischer-Dieskau, son interprétation d'un air d'une cantate de J.-S. Bach et l'inscription au programme de deux ouvrages qui ont marqué dans la production déjà considérable de l'OSR: trois extraits de la «Tempête». de Frank Martin, avec la collaboration du soliste de la soirée, et plusieurs fragments de «Pétrouchka», cette merveille de lumière, de rythmes et de couleurs. Remercions Ernest Ansermet de reprendre ces pages qu'il nous a fait connaître en y apportant toute sa science de l'orchestre, sa clairvoyance, son absolue possession de tout l'oeuvre de Strawinsky. C'est ainsi que nous pourrons revivre l'enchanteur «Tour de Passepasse» avec l'admirable solo de flûte, la «Danse russe» dont le rythme, scandé par le piano, vous entraîne, qu'on le veuille ou non, à la suite de Pétrouchka, du Maure et de la ballerine. Nous retrouverons le tableau admirable et varié «Chez Pétrouchka» où l'invention de Strawinsky se donne libre cours dans une orchestration extraordinaire, et enfin l'éblouissante «Fête populaire de la Semaine grasse», où l'habileté des musiciens est mise à rude épreuve.
Nous retrouverons aussi l'étonnante partition de Frank Martin dont Ernest Ansermet a dirigé à Vienne la première représentation lyrique. Le concours de Dietrich Fischer-Dieskau dans l'air de «Prospero» ajoutera encore à l'exécution de deux pages importantes de «La Tempête»: l'ouverture et l'épilogue.
En première partie, nous l'avons dit, le soliste interprétera un «Air» de J.-S. Bach. Cet «Air» est extrait de la «Cantate No 8» qui, dans son ensemble réunit un quatuor vocal accompagné par une flûte solo, deux hautbois d'amour et un ensemble de cordes. Le magnifique air, réservé à la basse, dialogue avec la flûte et les cordes. Il forme un tout de telle sorte que son exécution isolée ne nuira nullement au parfait équilibre de sa construction: La rareté d'une telle audition mérite de retenir l'attention des mélomanes.
La valeur et la tenue de ce programme nous vaudront une soirée symphonique d'une exceptionnelle qualité. [...]"
Le quatrième mouvement de la cantate BWV 8 de Johann Sebastian Bach - composée à l'occasion du 16e dimanche après la Trinité et jouée pour la première fois le 24 septembre 1724 - est un air pour basse/baryton, un splendide dialogue avec la flûte traversière. Le texte et sa traduction:
Doch weichet, ihr tollen, vergeblichen Sorgen!
Effacez-vous donc, soucis vains et insensés!
Mich rufet mein Jesus, wer sollte nicht gehn?
Mon Jésus m'appelle: qui ne se rendrait à son appel?
Nichts, was mir gefällt,
Le monde ne possède
Besitzet die Welt.
Rien qui me plaise.
Erscheine mir, seliger, fröhlicher Morgen,
Apparais-moi, matin bienheureux et béni
Verkläret und herrlich vor Jesu zu stehn.
Où il me sera donné, dans la splendeur de la transfiguration,
De comparaître devant Jésus.
Franz WALTER, dans le Journal de Genève du lendemain: "[...] l'Air de la Cantate No 8 de Bach nous offrait une fusion étonnante et dans un merveilleux clair-obscur, entre la voix de Fischer-Dieskau et la flûte de Pépin [...]".
Johann Sebastian Bach, Air "Doch weichet, ihr tollen vergeblichen Sorgen!" (Effacez-vous donc, soucis vains et insensés!), extrait de la Cantate "Liebster Gott, wann werd ich sterben?" (O mon Dieu, quand donc viendra ma dernière heure?), BWV 8, Dietrich FISCHER-DIESKAU, baryton, André PÉPIN, flûte, Orchestre de la Suisse Romande, Ernest ANSERMET, 8 mars 1961, Victoria Hall de Genève
Doch weichet, ihr tollen vergeblichen Sorgen! 05:48
Pour une courte présentation du onzième Concert de l'abonnement de la saison 1960-1961 - dont provient cet enregistrement - rédigée par William RIME, voir cette page de mon site.
Wolfgang Amadeus MOZART termine la composition de la Symphonie No 39 en mi bémol majeur, KV 543 - qui ouvrait ce concert - pendant l'été 1788, on ne connaît toutefois quasiment rien des circonstances de sa composition, et pas non plus de celles de sa première audition: on ignore même si celle-ci a eu lieu du vivant de Mozart.
Une courte description citée des excellentes notes rédigées par Felix APRAHAMIAN, dans une traduction de Paulette HUTCHINSON, et publiées en 1983 dans le livret du CD Chandos 6506:
"[...] écrite pour (une seule) flûte, deux clarinettes, deux bassons, deux cors, deux trompettes, timbales et instruments à cordes habituels; les passages des violoncelles et des contrebasses sont totalement distincts. Le couple de hautbois étant absent, les clarinettes, ingénieusement utilisées, confèrent, par leur son moins astringent, un timbre particulièrement moelleux à l'ensemble de l'oeuvre. Cette qualité, jointe aux ressources mélodiques de Mozart, font de la symphonie No 39 - pour citer les mots de Tovey - le locus classicus de l'euphonie.
Plusieurs commentateurs ont relevé une certaine affinité entre l'introduction lente de l'Allegro du début et l'Ouverture de Don Juan: "les mêmes passages qui se meuvent étrangement sur des gammes montantes et descendantes, la même figure rythmique de l'accompagnement". Les pulsations insistantes du rythme pointé se poursuivent tout au long de l'Adagio jusqu'à ce que l'humeur change dans les quatre mesures qui précèdent l'Allegro: elle sont, pour Tovey "une de ces sublimités que l'on ne peut comparer ni entre elles ni avec quoi que ce soit d'autres, le critère exceptionnel de son propre jugement de la beauté".
Le chiffrage 4/4 de l'Adagio cède la place au gracieux 3/4 du premier sujet de l'Allegro. La mélodie chantée par les premiers violons, puis en écho par les cors et reprise par les cordes graves, s'efface devant un tutti plus agité dont le thème initial semble anticiper le premier mouvement de la Symphonie Héroique de Beethoven. Après une transition vers la dominante, le second sujet débute par un long Si bémol, qui dure une mesure entière, et une figure d'entrelacement, en intervalles de dizièmes, rendue par les violons. Elle ouvre le dialogue avec les bois, avant que le nouveau motif (lancé au-dessus des cordes pincées) et le second élément du premier sujet ne conduisent l'exposition à sa double barre de la fin. Le court développement qui suit repose principalement sur le second élément du second sujet. D'une manière inhabituelle, il se termine en Ut mineur sur la dominante. Après une mesure de silence, les trois mesures d'accords pour les bois rappellent celles qui terminaient l'introduction; elles conduisent à la réexposition, suivie d'une coda brillante.
L'Andante [...] se déroule en La bémol majeur. Sa section d'ouverture, reprise, présente deux éléments développés et réexposés dans la deuxième section reprise. Une transition - deux mesures - mène à l'épisode, plutôt dramatique en F mineur, duquel émerge le récitatif des premiers violons, suivi d'un autre thème, annoncé par le basson et commençant par des notes répétées, puis traitées de manière imitative. Une réexposition modifiée des matières précédentes avec changements de coloration harmonique donnent à la musique une plus grande intensité.
Le Menuet, en Mi bémol majeur, suit le cours normal des deux sections reprises, un trio dans la section médiane et une reprise des deux premières sections mais sans leur reprise. Le charmant contraste entre la fermeté du menuet et la grâce mélodique du trio dans lequel la première clarinette chante le thème, la deuxième l'accompagne, la flûte fait écho, fait de ce mouvement brillant, un mouvement mémorable.
Les premiers violons, accompagnés par les seconds, annoncent le thème du Finale [...] interprété par tout l'effectif orchestral. Son développement, dans le ton de la dominante, prend la place du second sujet. À nouveau développé après une double barre [d'arrêt], il confirme l'animation inlassable de ce mouvement, jusqu'à ce qu'il se termine par une conclusion alerte. [...]" cité des notes rédigées par Felix APRAHAMIAN, dans une traduction de Paulette HUTCHINSON, publiées en 1983 dans le livret du CD Chandos 6506.
Un court commentaire cité du compte-rendu de "J.P." publié dans la Gazette de Lausanne le samedi suivant: "[...] Le concert débutait par la Symphonie en mi bémol K. 543, de Mozart. Si je n'ai pas été saisi par les trois premiers mouvements, en dépit de cette sérénité de l'équilibre qui caractérise aujourd'hui la baguette d'Ansermet, je n'ai jamais entendu le Finale joué avec une sensibilité plus juste, dans un tempo à la fois modéré et rebondissant qui donne son poids exact à l'un des développements les plus symétriques que Mozart ait jamais écrits. [...]".
Wolfgang Amadeus Mozart, Symphonie No 39 en mi bémol majeur, KV 543, Orchestre de la Suisse Romande, Ernest ANSERMET, 8 mars 1961, Victoria Hall de Genève