Les quatres mélodies d'Henri DUPARC présentées ici - «L'Invitation au voyage» (1870 sur un texte de Charles Baudelaire, dédiée à Madame Henri Duparc), «Phidylé» (entre 1872 et 1882 sur un texte de Charles Leconte de Lisle, dédiée à Ernest Chausson), «La Vie antérieure» (1884 sur un texte de Charles Baudelaire, dédiée à J. Guy Ropartz) et «Chanson triste» (1868, sur un poème de Henri Cazalis, pseudonyme de Jean Lahor, dédiée à Léon Mac Swiney) - sont parmi ses oeuvres les plus célèbres. Écrites à l'origine pour voix et piano, elles font parties des 8 mélodies qu'il orchestra ensuite lui-même.
L'orchestration des trois premières mélodies fut notée par Ernest ANSERMET, qui s'était lié d’amitié avec le compositeur: de 1906 à 1913, Henri Duparc s'était établi avec son épouse à La Tour-de-Peilz, à cause de ses graves problèmes de santé (hyperesthésie). Comme il était entretemps devenu presque aveugle, c'est sous sa dictée qu'Ernest Ansermet nota ces orchestrations. Voir cette page de mon site pour l'interprétation qu'en donna Pierre MOLLET en 1959 avec l'Orchestre de la Suisse Romande sous la direction d'Ernest Ansermet, ainsi que pour quelques extraits de la correspondance d'Henri Duparc au sujet de ces mélodies.
Ci-dessus à droite: Otto ACKERMANN, un instantané pris par Brian SEED, date et lieu inconnus, voir cette page de Discogs pour quelques-unes des pochettes de disque qu'il a réalisé (à gauche: Logo de la WDR3 avant le 4 avril 2004)
Les 31 mai et 1er juin 1957, Léopold SIMONEAU enregistra ces 4 mélodies avec l'Orchestre Symphonique de la Radio de Cologne sous la direction d'Otto ACKERMANN (datation du «Schallarchiv Gert Fischer / Phonothèque Nationale Suisse»). Pendant ces mêmes sessions il enregistra également 2 airs de concert de Wolfgang Amadeus Mozart, «Per pietà non ricercate...», KV 420, et «Misero! o sogno!... Aura, che intorno...», Récitatif et air, KV 425b (431).
Léopold SIMONEAU, portrait fait par Fayer, Wien, date inconnue
Sur ces quatres mélodies...
«L'Invitation au voyage»
Henri Duparc a dédié cette oeuvre à sa future épouse, encore Ellie Mac Swiney lors de la composition. Des trois strophes avec refrain, Duparc ne retient que les deux plus impressionnistes, pour le premier couplet celles des «soleils mouillés», «ciels brouillés» et «soleils couchants» à la lumière «d'hyacinthe et d'or» d'un paysage hollandais, si évocatrices pour l'aquarelliste talentueux qu'il était. "[...] Commencé à l'identique, le 2e couplet ne rompt l'immense bourdon, qui maintenait dans la contemplation ce chimérique «ailleurs», qu'à la cadence en sol majeur (mes. 54: «Qu'ils viennent du bout du monde»). Nouvel accompagnement ruisselant au tiers de ce 2e couplet (mes. 58, ut majeur, 9/8) pour se diriger vers l'irradiante cadence plagale en ut (mes. 71 : «une chaude lumière»), puis emporter dans son irrésistible élan le 2e refrain. Véritable «corde de récitation», la dominante sol balise la partie mélodique dans une discrète octave parcourue de tritons mélodiques (et harmoniques), sans entraver la puissance expressive du «leitmotiv» qui serpente de la voix au clavier.[...]"
Mon enfant, ma soeur,
songe à la douceur
d’aller là-bas vivre ensemble!
Aimer à loisir,
aimer et mourir
au pays qui te ressemble!
Les soleils mouillés
de ces ciels brouillés
pour mon esprit ont les charmes
si mystérieux de tes traîtres yeux,
brillant à travers leurs larmes.
Là, tout n’est qu’ordre et beauté,
luxe, calme et volupté.
Vois sur ces canaux
dormir ces vaisseaux,
dont l’humeur est vagabonde;
C’est pour assouvir
ton moindre désir
qu’ils viennent du bout du monde.
Les soleils couchants
revêtent les champs,
les canaux, la ville entière,
D’hyacinthe et d’or;
le monde s’endort
dans une chaude lumière.
Là, tout n’est qu’ordre et beauté
luxe, calme et volupté.
«La Vie antérieure»
Sur un texte de Charles Baudelaire - des Fleurs du mal, «Spleen et Idéal» - cette mélodie - ce poème chanté - sonne comme une réponse à «L'Invitation au voyage».
"[...] Inscrit dans un unique accord de mi bémol majeur, répété jusqu'à la fixité, déjà veiné de «basaltiques» chromatismes internes, le 1er couplet «lent et solennel» pose le décor des «vastes portiques». «Un peu plus vite», emporté par la polyrythmie agitée du clavier, une fois encore entravée de pédales harmoniques, le 2e quatrain image les «houles» tout en intégrant les griffures en éventail qui reliaient les droits piliers initiaux.
Point culminant et point d'orgue avant les deux tercets associés dans un libre 3e couplet – lequel débordera sur l'épilogue pianistique. En cet instant d'apogée, situé à la submédiante, Duparc redouble le «C'est là» de Baudelaire, à la manière du «Là-bas, là-bas» de Goethe dans la Romance de Mignon. «Presque à demi-voix et sans nuance, comme en une vision», s'accumulent alors, en étroite correspondance avec la multisensorialité exacerbée du poème, tritons, quintes augmentées mélodiques et harmoniques, pathétique phrase canonique au clavier pour accéder au 2e tercet des insondables mystères.
Tuilage entre ces mots bouleversants : «Et dont l'unique soin était d'approfondir [deux accords lointains en éventail: incomparable creusement spatial et émotionnel] le secret douloureux qui me faisait languir» et le long postlude pianistique. [...]" Brigitte François-Sappey
J’ai longtemps habité sous de vastes portiques
que les soleils marins teignaient de mille feux,
et que leurs grands piliers, droits et majestueux,
rendaient pareils, le soir, aux grottes basaltiques.
Les houles, en roulant les images des cieux,
mêlaient d’une façon solennelle et mystique
les tout-puissants accords de leur riche musique
aux couleurs du couchant reflété par mes yeux.
C’est là que j’ai vécu dans les voluptés calmes,
au milieu de l’azur, des vagues, des splendeurs
et des esclaves nus, tout imprégnés d’odeurs,
qui me rafraîchissaient le front avec des palmes,
et dont l’unique soin était d’approfondir
le secret douloureux qui me faisait languir.
Henri DUPARC, photographe et date inconnus
«Phidylé»
Le poème est extrait du recueil «Poèmes et poésies» (Leconte de Lisle a écrit un autre poème du même titre, publié dans ses «Poêmes antiques»)
"[...] Dans ce poème de l'attente et hymne à la nature, le compositeur peint les gradations de lumières et atmosphères de l'aube au couchant, à la manière des séries de Monet. Et à partir de quatre des dix strophes, déjà rythmées par l'alternance d'alexandrins, octosyllabes et de l'hexasyllabe «Repose, ô Phidylé», il agence un libre rondo de trois couplets suivis d'un refrain (ou du postlude) qui réinvente l'espace-temps poétique. C'est merveille de le voir unifier par quelques cellules mélodiques - la première enserrée dans une tierce mineure s'élargissant au triton, celle du repos de Phidylé, et les inévitables pédales harmoniques – la progression agogique-dynamique de ballade qui traduit la mouvance des heures, des couleurs et la montée du désir.
Dans le romantique la bémol de l'amour, presque immobile, voix centrée sur la tonique, agrégats réguliers aux enchaînements modaux, tritons, le 1er couplet sonne... comme du Fauré.
Refrain en croches à la submédiante. 2e couplet en progression rythmique (triolets, quartolets) et modulations incessantes pour la vision sonore des «oiseaux rasant de l'aile la colline». Décélération symétrique par les triolets, refrain à la tonique, en croches, puis lente chute chromatique sur pédale.
3e couplet arc-bouté sur les piliers harmoniques du 1er mais en batteries de triples croches pour laisser vibrer les frémissements de la nature et de l'amour, voix émancipée qui gagne les cimes et décroît alors que le clavier (ou flûtes et hautbois) poursuit son irrésistible ascension.
Saisi sur l'acmé, le postlude va s'apaisant en une longue thesis récapitulatrice: frissonnantes batteries sur pédale de tonique du couplet 3, profil mélodique des refrains, puis motif de la fin du refrain 2 serti par les harmonies du couplet 1. Admirable. «Phidylé est mon "vase brisé"», confiera – brisé – le compositeur à Jean Cras. [...]" Brigitte François-Sappey
L’herbe est molle au sommeil sous les frais peupliers,
aux pentes des sources moussues
qui, dans les prés en fleurs germant par mille issues,
se perdent sous les noirs halliers.
Repose, ô Phidylé!
Midi sur les feuillages
rayonne et t’invite au sommeil.
Par le trèfle et le thym, seules, en plein soleil,
chantent les abeilles volages.
Un chaud parfum circule au détour des sentiers,
la rouge fleur des blés s’incline,
et les oiseaux, rasant de l'aile la colline,
cherchent l’ombre des églantiers.
Repose, ô Phidylé!
Mais quand l’Astre incliné sur sa courbe éclatante,
verra ses ardeurs s’apaiser,
que ton plus beau sourire et ton meilleur baiser
me récompensent de l’attente!
«Chanson triste»
C'est la première des mélodies composées par Henri Duparc - elle „est toute d’émotion retenue, nourrie d’arpèges égrenant de touchantes harmonies“. Le poème „s’adresse à un être aimé peut-être présent, et assurément aimant - mais la consolation attendue est renvoyée à un futur improbable…“
Dans ton coeur dort un clair de lune,
Un doux clair de lune d'été,
Et pour fuir la vie importune,
Je me noierai dans ta clarté.
J'oublierai les douleurs passées,
Mon amour, quand tu berceras
Mon triste coeur et mes pensées
Dans le calme aimant de tes bras.
Tu prendras ma tête malade,
Oh! quelquefois, sur tes genoux,
Et lui diras une ballade
Qui semblera parler de nous;
Et dans tes yeux pleins de tristesse,
Dans tes yeux alors je boirai
Tant de baisers et de tendresse
Que peut-être je guérirai.
Léopold SIMONEAU et Pierrette ALARIE, son épouse - photographe, date et lieu inconnus
Voici donc...
Henri DUPARC, 4 mélodies, Léopold SIMONEAU, Orchestre Symphonique de la Radio de Cologne, Otto ACKERMANN, 31.05. - 01.06.1957
1. L'invitation au voyage 04:15
2. La vie antérieure 04:42
3. Phidylé 05:49
4. Chanson triste 03:28
4 fichier(s) FLAC et 1 fichier PDF dans 1 fichier ZIP
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