Antonin Dvorak écrivit la première version de cette oeuvre entre le 5 juillet et le 15 septembre 1879; il l'envoya ensuite à Joseph Joachim - dont il avait fait la connaissance peu auparavant et qui l'avait sollicité d'écrire ce concerto, par l'intermédiaire de l'éditeur Simrock. "[...] Suite aux commentaires dubitatifs du violoniste, il le remodèle entièrement au printemps 1880 et s’empresse, enthousiaste, d’envoyer cette nouvelle mouture au soliste. Celui-ci ne daigne répondre que deux ans plus tard, dans une lettre lapidaire: «L’ensemble révèle une main experte en ce qui concerne le violon, néanmoins les détails montrent que vous n’avez pas joué depuis longtemps. […] Dans sa forme actuelle le concerto n’est pas suffisamment au point pour être présenté au public». Plein d’humilité, le compositeur retouche une nouvelle fois une oeuvre que Joachim ne se résoudra jamais à créer…[...]" cité d'un texte de Louise BOISSELIER publié dans un programme de la Philharmonie de Paris.
C'est finalement Frantisek Ondricek, un ami de Dvorak, qui en donna la première audition à Prague le 14 octobre 1883 sous la direction de Moric Anger.
"[...] La structure du début „Allegro ma non troppo“ est particulièrement hétérodoxe, l’introduction et la réexposition orchestrales étaient très brèves. Il est fort probable que Dvořák eût été influencé par l’approche semblable de Max Bruch dans le premier mouvement de son populaire premier concerto pour violon de 1866. L’introduction orchestrale de Dvořák n’est qu’un appel à l’attention de quatre mesures remplaçant l’exposition traditionnelle de tous les thèmes. À l’entrée du soliste, le violon assume immédiatement un rôle plus lyrique avec une mélodie soutenue. Ces deux idées contrastantes dominent le mouvement tandis que le second sujet, encore plus attrayant – introduit par le violon solo – fait une apparition trop brève. Suite à la réexposition drastiquement écourtée de 36 mesures seulement, le violon joue une fioriture au lieu d’une cadence qui fait place à un passage profondément expressif accompagné d’abord seulement par les vents.
Ce pont mène sans interruption au mouvement lent, un Adagio en fa majeur imprégné du lyrisme le plus sincère de Dvořák. Au début presque entièrement sans ornements, la mélodie du violon s’épanouit en arabesques avant que le tempo ne s’anime un peu pour une section centrale turbulente en fa mineur où l’écriture décorative du soliste continue de dominer. Vers la fin de cette section centrale, les trompettes font leur entrée mais leur rythme martial est vite adouci par le retour de la mélodie du début en la bémol majeur. Ce mouvement serein se termine par un duo de cor idyllique, embelli par le soliste. L’écriture pour violon de Dvořák dans cet Adagio présente souvent un caractère de bravoure en ce sens qu’il demande une grande facilité technique mais reste toujours d’inspiration lyrique.
Une sonate rondo, le finale – en fait une célébration exubérante de la musique populaire tchèque – commence avec le thème qu’on dirait de furiant, une danse tchèque caractérisée par de la polyrythmie. Chaque fois que le thème de ce rondo apparaît, Dvořák le présente dans une orchestration bien différente, l’une rappelant les dudy ou cornemuses tchèques. Un épisode contrastant en ré mineur rappelle une dumka, une sorte de ballade populaire d’esprit slave en alternance élégiaque et joyeux. C’est avec ce thème, maintenant entendu en la majeur, que la coda commence mais le thème principal de rondo revient conclure ce qui est l’une des oeuvres les plus mélodiques et agréables de Dvořák. [...]" Cité des notes de Philip BORG-WHEELER publiées en 2017 dans le livret du SACD BIS-2246.
Le 6 août 1955, lors du concert d'ouverture du Festival de Lucerne, Ernest ANSERMET dirigeait l'Orchestre du Festival, avec Nathan MILSTEIN en soliste. Au programme de ce concert:
➣ Richard Wagner, Ouverture de Tannhäuser
➣ Antonín Dvořák, Concerto pour violon
➣ Albert Roussel, Suite en fa
➣ Claude Debussy, La Mer
Cité du compte-rendu d'Henri JATON, intitulé „Semaines internationales de musique de Lucerne - Le triomphe d'Ernest Ansermet“, publié dans la Gazette de Lausanne du 8 août 1955 en page 4:
"[...] Et voici donc que le Festival de Lucerne débutait samedi soir, par un concert dirigé par Ernest Ansermet. La présence de notre grand chef romand sur les bords de la Reuss correspondait à la tradition que les organisateurs ont introduite dans leur cycle, en en confiant l’une des séances à un interprète autorisé de la musique française.
Et c’est sans doute pour demeurer fidèle à la mission qui lui était dévolue que l’éminent directeur de l’O.S.R. avait inscrit à son programme la Suite en ja majeur d’Albert Roussel et le fameux tryptique la Mer de Claude Debussy, l’Ouverture de Tannhauser de Wagner préludant par ailleurs à cette audition inaugurale, dans laquelle intervenait également le violoniste Nathan Milstein, commis à l’exécution du Concerto en la majeur d’Anton Dvorak. Si j’ai situé particulièrement le caractère des oeuvres que nous entendîmes. c’est que le succès triomphal qu’Ernest Ansermet recueillit en cette occasion, prend ici une signification considérable.
Nul n’ignore en effet que le public lucernois n’est guère habité du démon de la curiosité et de la découverte. Beethoven, Schubert, Brahms représentent ses motifs de dévotion coutumiers, et l’orientation habituelle de ses désirs et de ses goûts. Pour que cet auditoire ait réagi avec un enthousiasme frénétique aux sollicitations d’un Roussel ou d’un Debussy, il faut croire vraiment que la qualité des interprétations qui lui étaient offertes, dépassa la commune mesure et emporta irrésistiblement son adhésion.
En vérité, Ernest Ansermet a réalisé à Lucerne une manière d’exploit. Conduisant un orchestre dont, quelques jours auparavant, les multiples éléments ne se connaissaient point encore, notre prestigieux maître romand a conféré à cet ensemble — par ailleurs excellent — une personnalité, une cohésion dont tous les futurs chefs du festival, les Karajan, Ormandy, Argenta et Klemperer, vont désormais bénéficier largement.
Sur le plan même de la qualité des exécutions — celle de la Mer en particulier — Ansermet a atteint, samedi soir, à une perfection qui ne me semble guère pouvoir être surpassée. Et j’imagine bien que si, d’aventure, le témoignage d’Ansermet subissait la confrontation de ceux de ses confrères, spécialisés dans le commentaire d’une musique de ce genre, il ne fait nul doute que la démarche de notre éminent compatriote s’imposerait d’emblée, par sa subtilité et l’authenticité de son caractère.
Pour son compte, la Suite en fa d’Albert Roussel bénéficia, elle aussi, d’une traduction exemplaire, sans qu’elle ait suscité une réaction aussi totale. Mais là, la responsabilité de l’interprète n’était nullement en cause. Car, pour un certain lot d’auditeurs répandus dans la salle du Kunsthaus, il était évident que les complexités harmoniques — pourtant bien modestes... — de la Suite en fa, dépassaient le cadre de leur entendement. A mes côtés, d’aimables et jolies voisines, dont les ravissantes toilettes représentaient le motif d’attraction majeur de la soirée..., restèrent insensibles visiblement au langage roussellien et sombrèrent dans une béate somnolence...
Par voie de conséquences, je mesurais alors notre privilège d’avoir été, en Suisse romande, ouverts en quelque sorte, à l’intelligence de ce répertoire contemporain, par le maître auquel nous devons le plus clair de notre connaissance depuis plus de trente ans...
Pour que tout, en cette soirée inaugurale, s’élève au plus haut niveau de qualité et d’intérêt, Nathan Milstein, de son côté, se révéla magnifique d’autorité, d’élan et de bravoure, dans une prodigieuse exécution du Concerto de Dvorak , pour la réalisation duquel le prestigieux virtuose trouva auprès d’Ernest Ansermet et de ses instrumentistes, une collaboration de tout premier ordre. [...]"
L'enregistrement du concerto pour violon d'Antonín Dvořák est un document extrêmement précieux pas seulement par l'interprétation de Nathan Milstein, mais aussi parce qu'Ernest Ansermet n'a dirigé que très rarement des oeuvres de ce compositeur. Il connaissait par contre bien ce concerto: d'après les archives de l'OSR il le donna deux fois en concert à Genève, le 25 novembre 1933 avec Nathan Milstein, alors âgé de seulement 30 ans et le 18 novembre 1953 avec Johanna Martzy.
Nathan Milstein et Ernest Ansermet avaient joué ensemble déjà 2 ans auparavant, le samedi 19 décembre 1931 dans un concert donné également au Grand-Théâtre de Genève, ainsi que le 21 décembre suivant au Théâtre du Capitole de Lausanne, avec le concerto de Brahms au programme. Les commentaires étaient déjà élogieux, caractérisant très bien le jeu - pour l'époque très particulier - de Nathan Milstein:
"[...] Nathan Milstein est un violoniste de tout premier plan. Son jeu concentré, presque sévère, sobre et riche à la fois, s'impose par la noblesse du style, la beauté du son, l'extraordinaire ampleur de l'archet. C'est le jeu d'un maître. Son exceptionnelle maturité chez un si jeune artiste, et qui n'est certes ni froideur, ni indifférence, lui prête un charme étrange. [...]" cité de la Gazette de Lausanne du jeudi 24 décembre 1931 en page 3 .
Antonín Dvořák, Concerto pour violon et orchestre en la mineur, B. 108, op. 53, Nathan Milstein, Orchestre du Festival de Lucerne, Ernest Ansermet, 6 août 1955
1. Allegro ma non troppo 09:24 (-> 09:24)
2. Adagio ma non troppo 10:49 (-> 20:13)
3. Finale: Allegro giocoso ma non troppo 09:40 (-> 29:53)