Robert SCHUMANN
Ouverture de «Manfred», Op. 115
Ernest ANSERMET parle aux Jeunes
Commentaires et exemples musicaux
Orchestre de la Suisse Romande
Ernest ANSERMET
16 avril 1966, Victoria Hall, Genève
Le «Manfred» de Robert Schumann est à l'origine une musique de scène pour la pièce de Lord Byron - inspirée de la vue des glaciers de l’Oberland Bernois -, qu'il composa entre 1848 et 1851. Elle exalte le héros romantique à la destinée tragique, et le portrait de Manfred se confond en grande partie avec ceux de Byron et de Schumann lui-même, qui va bientôt sombrer dans la folie.
Manfred sur la Jungfrau, une peinture de John MARTIN, 1837
La musique de scène se compose d'une ouverture et de quinze numéros dont six exclusivement musicaux, les autres faisant intervenir la déclamation et le parler. Elle fut révisée à plusieurs reprises, son ouverture fut composée en dernier, en 1851, à l'occasion d'une de ces révisions: Schumann la considèrait comme «l'un de ses enfants les mieux venus».
L'intégralité de la musique de scène fut donnée en première audition le 13 juin 1852, sous la direction musicale et dans une mise en scène de Franz Liszt. Elle ne fut toutefois accueillie que tièdement: le public était trop déconcerté par la forme de l'ouvrage. L'ouverture avait été donnée auparavant en première audition, le 14 février 1852 dans le cadre de la Semaine Schumann organisée par la ville de Leipzig, avec le compositeur au pupitre: elle remporta un grand succès.
Son épouse, Clara, admirait également cette ouverture de concert comme elle l'écrivit le 20 juin 1852 à Carl Montag: «À vous, je peux avouer combien cette musique de Manfred m'est chère, je l'aime passionnément et l'Ouverture est, pour moi, une des plus puissantes, des plus saisissantes que je connaisse». De nos jours, cette ouverture est régulièrement jouée en concert, contrairement à la musique de scène du poème dramatique qui, réputée irreprésentable, demeure une rareté:
"[...] Oeuvre non seulement inclassable, mais impossible. [...] Mélodrame mais en morceaux: quinze pièces d’humeur, de longueur, de ton, de genre inégaux, parlées, déclamées, chantées avec ou sans orchestre. Certes, mélodie et drame sont présents, mais ils s’annulent, l’un l’autre, en sorte que le résultat est impossible: une musique de scène qui ne peut être jouée en scène car les mots appartiennent à l’abstraction irreprésentable plus qu’au drame et aux sentiments, non plus qu’en concert car elle ne chante pas assez. [...]" cité d'un texte de Michel SCHNEIDER, psychanalyste et écrivain.
L'ouverture - en fait un poème symphonique - évoque la tragédie du suicide d'Astarté qui est morte par la faute de son frère, Manfred. Dans les abîmes, Manfred cherche le pardon, qu'il ne pourra obtenir que dans la mort. La musique décrit à la fois le désespoir d'Astarté, mais aussi la véhémence de Manfred, puis l'appel de sa soeur. Tout au long de cette page, l'expression dramatique ne cesse de croître, jusqu'à l'apaisement puis le silence. Schumann joue d'une harmonie violemment contrastée, de rythmes enflammés. Il traduit en musique, la tempête des sentiments entre mélancolie et passion.
"[...] l’ouverture de «Manfred» est la page la plus concentrée, la plus efficace et donc la plus appréciée des quinze numéros de la partition; elle est aussi la plus importante puisqu’elle devait non seulement paraphraser le texte de Byron (que Schumann avait réduit de 1336 à 975 vers), mais surtout le saisir dans son ensemble par les motifs et les thèmes du compositeur.
Cette ouverture est une ouverture de concert à programme en un seul mouvement, au même titre que les ouvertures dramatiques de Beethoven, l’ouverture de Tschaikowsky pour «Roméo et Juliette», ou les poèmes symphoniques de Liszt et de Richard Strauss. Tout comme dans le «Manfred» de Byron il n’y a pas de construction d’action ou de récapitulation d’une préhistoire - dès le premier vers on se trouve au centre de la condition tragique du héros - Schumann ne développe pas son ouverture au sens classique du terme, en dépit de l’utilisation de la forme-sonate, mais il se précipite en quelque sorte avec tout l’orchestre dans le climat donné avec les premières mesures: accords de seconde, de quarte-sixte et de quinte-sixte. L’ouverture est introduction et résumé tout à la fois. [...]" cité d'un texte de Hanspeter KRELLMANN dans une traduction de Carl de NYS, publié dans l'album Schwann Musica Mundi VMS 1634.
Ernest ANSERMET, un portrait de Jean MOHR
Ernest ANSERMET a très souvent mis cette oeuvre au programme de ses concerts, pour la première fois avec l'Orchestre de la Suisse Romande le 23 janvier 1926. Dans la brochure-programme de ce concert était donnée la courte description suivante:
"[...] Manfred est, avec les Scènes de Faust, un des ouvrages les plus caractéristiques de Schumann, un de ceux où son génie se manifeste avec le plus de puissance, où la passion, le rêve, les tortures de l'âme, les visions de l’au-delà se traduisent avec le plus d’intensité et le plus d’éclat musical. Le héros de Byron, personnage énigmatique qui, sur le sommet des Alpes, au fond de son château, doute et se désespère, souffre et se révolte, devait par un charme mystérieux , attirer Schumann et sourire étrangement à sa mélancolie. Le compositeur associait sa détresse à celle de Mantred et, dans l'exaltation de son pessimisme, croyait se retrouver en lui.
Ce fut donc avec une véritable fièvre qu’il écrivit cette partition; lui-même disait que dans aucune autre il n’avait mis tant d'amour et dépensé tant de force: «J'estime que ma musique n’est pas une besogne de manoeuvre; le métier n’y a point de part, mais elle a coûté à mon coeur plus qu'on ne saurait l'imaginer». [...]
«Manfred s'éveille en sursaut d'un lourd sommeil et se souvient d’Astarté qui s’est tuée à cause de lui. - Ressaisi par son amour, il s'élance au fond des solitudes pour y retrouver l'Aimée et obtenir son pardon. Mais en vain; les déserts sont muets et ne lui renvoient que l'écho de son cri désespéré. Haletant il s'arrête; un fantôme voilé passe devant ses yeux et une voix bien connue l'appelle au loin dans l’invisible. Tenaillé de remords, le maudit reprend sa course vertigineuse, effrénée, des plaines à l’Océan, de l’Océan aux Alpes.»
«Dans le silence de la nature, la voix aimée s’élève plus tendre, plus suppliante, plus passionnée. - Cette fois, Manfred a compris qu'il ne retrouvera l'âme d'Astarté qu'en frappant aux portes de la Mort.»
«Il les heurte à coups redoublés: elles s’ouvrent..., et d'un suprême effort, il les franchit.»
«Son corps s'affaisse, son oeil se voile, l'onde orageuse de son sang se glace dans ses veines... il expire. Mais l'âme d'Astarté accueille l'âme de Manfred dans un monde plus pur.» [...]"
L'auteur du texte n'est pas mentionné, mais c'est fort probablement Ernest Ansermet lui-même.
Pour plus de détails... Simplement écouter Ernest ANSERMET présentant et commentant l'oeuvre, avec de nombreux exemples musicaux, puis dirigeant l'oeuvre en entier (Le tout fut également filmé par Jean-Jacques LAGRANGE pour la Télévision Suisse Romande, une vidéo diffusée pour la première fois le 5 juin 1966 sur la Télévision Romande. L'émission fut également réalisée en anglais pour être diffusée aux USA sur la chaîne NET Télévision éducative - en préparation de la tournée de l'Orchestre de la Suisse Romande dans quelques villes de ce pays).
Voici donc...
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1. Ernest Ansermet commentant l'oeuvre 22:57
2. Ouverture 11:54
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