Ferruccio BUSONI
Fantaisie indienne, Op. 44, BV 264
Pietro SCARPINI, piano
Orchestre National de l’ORTF
Piero BELLUGI
10 janvier 1968, Théâtre des Champs-Élysées, Paris
Le premier témoin de l'intérêt de Ferruccio Busoni pour les Indiens d'Amérique se trouve dans une lettre à son épouse datée du 22 mars 1910, dans laquelle il mentionne l'une de ses anciennes élèves américaines, l'ethnomusicologue Natalie Curtis, née à New York, qui avait compilé une anthologie standard de la musique indienne, «The Indians' Book». Busoni, quant à lui, parle des Indiens d'Amérique comme du „seul peuple cultivé qui ne veut rien savoir de l'argent et qui habille de belles paroles les choses les plus quotidiennes“. Ses premières compositions achevées sur ce sujet sont les deux livres du «Indianisches Tagebuch» - le premier est un ensemble de quatre études pour piano, le second une étude pour petit orchestre intitulée «Gesang vom Reigen der Geister». Tous deux furent composés en 1915 et publiés l'année suivante.
S'inspirant de mélodies indiennes directement tirées de l'ouvrage de Curtis, Busoni commença de composer l'«Indianische Fantasie fur Klavier mit Orchester» au cours de l'été 1913, mais ne l'acheva qu'en 1915; il la donna lui-même en première audition à Zurich en 1916, puis obtint un plus grand succès à Londres en 1920. Il eut quelques difficultés à développer les thèmes et à organiser la structure de cette oeuvre, difficultés qui se reflètent dans son indécision quant à son titre: il choisit d'abord le titre de «Concerto Secondo - (Fantasia, Canzone e Finale su dei motivi delle Pelli-Rosse) - per Pianoforte con Orchestra», puis envisagea celui d'«Indianische Suite», et même le titre anglais «Indian Rhapsody», avant de se décider.
«« La «Fantasie indienne» marque une rupture stylistique significative avec le Concerto pour piano, opus 39, ou le «Concertstück». Bien que Busoni préparait son édition du second livre du Clavier bien tempéré de Bach lorsqu'il l'a composée, il rejeta un style très contrapuntique et chercha plutôt une forme dans laquelle l'harmonie et le rythme étaient subordonnés à la mélodie, comme dans sa «Berceuse élégiaque» pour orchestre, Op.42 (1909) et son «Nocturne symphonique». En 1912, à une époque où de nombreux musiciens privilégiaient l'écriture expressionniste par rapport à l'écriture mélodique, Busoni écrivit qu'il se concentrait sur le rôle de la „mélodie pure, une séquence d'intervalles ascendants et descendants qui sont organisés et se déplacent rythmiquement. Cette séquence contient une harmonie latente et reflète une sorte de sentiment. Et tout cela peut exister sans directives expressives tirées d'un texte et sans accompagnement vocal. ... La mélodie, d'abord indépendante, finit par s'unir à l'harmonie qui l'accompagne et devient ensuite indissociable de celle-ci. Récemment, le but de la musique polyphonique (toujours en progrès) fut de s'affranchir de cette unité. En contradiction avec des convictions profondément enracinées, la mélodie, au sein de la polyphonie, devrait être autorisée à s'étendre continuellement, à grandir en taille et en capacité d'expression, et devenir ainsi l'élément le plus puissant de la composition“.
Dans la «Fantaisie Indienne», des rythmes de danse alternent avec de lentes lamentations, des thèmes grandioses avec des passages barbares. Les instruments de l'orchestre sont souvent traités en sections, ce qui permet d'éviter le mélange et la fusion des timbres individuels. Busoni introduit plusieurs thèmes successivement, avec des harmonies polytonales très originales, puis les développe tout en conservant leur caractère original. La partie de piano a un caractère presque symphonique, les cadences étant utilisées comme moyen structurel pour introduire de nouveaux matériaux musicaux. Busoni écrivait en 1913: „Je suis arrivé à un moment critique de mon travail, où beaucoup d'idées ont besoin d'une forme“; dans le cas de la «Fantaisie Indienne», cette forme se divise en trois sections principales qui sont reliées par des cadences de piano:
(I) L'introduction (Andante con moto, quasi marcia) est construite à partir d'un fragment de deux mesures dans un style de marche, caractérisé par un point de pédale. La fantaisie proprement dite commence par l'entrée du piano, avec un thème syncopé et clairement articulé. Une section Adagio fantastico, avec un nouveau thème de quatre notes soutenu par des accords lourds, est suivie d'une section Allegretto affettuoso contrastante, puis d'un Piu mosso, avec un thème belliqueux de sept mesures accompagné d'octaves martelées au piano. La fin de ce thème est transformée en un fragment lyrique pour l'orchestre, menant à la cadence, qui développe le matériau de l'Allegretto affettuoso.
(II) La section centrale de la «Fantaisie Indienne» est la plus conventionnelle. Le piano soliste présente une chanson en sol majeur (Andante, quasi lento), en alternance avec l'orchestre. L'Allegro sostenuto sert de pont à l'Andantino maestoso, construit sur un thème orchestral enrichi d'arpèges dans la partie de piano.
(III) Dans le Vivamente, un rythme de danse barbare, utilisé comme ostinato, est hurlé par les cors, puis repris par les vents, tandis que le piano joue des accords complets. Dans la section Animato, les différents thèmes s'entremêlent, sur un rythme sauvage, pour aboutir à la conclusion en do majeur. »»
traduit des notes de Doriana ATTILI publiées en 1999 dans le livret du CD Music&Arts 1047.
L'enregistrement proposé sur cette page provient d'un concert donné le 10 janvier 1968 au Théâtre des Champs-Élysées de Paris, Piero BELLUGI dirigeant l'Orchestre National de l'ORTF, avec Pietro SCARPINI en soliste. Au programme:
-► Luigi Cherubini, Symphonie en ré majeur
-► Ferruccio Busoni, Fantaisie indienne, Op. 44, avec Pietro Scarpini au piano
-► Luigi Nono, España en al corazon,avec Simone Rist et Jean-Christopher Benoît
-► Alexander Skrjabin, Prometheus, avec Pietro Scarpini au piano
La seconde oeuvre au programme de ce concert:
Ferruccio Busoni, Fantaisie indienne, Op. 44, BV 264, Pietro Scarpini, piano, Orchestre National de l’ORTF, Piero Bellugi, 10 janvier 1968, Théâtre des Champs-Élysées, Paris