Claude DEBUSSY
Sonate No 1 pour violoncelle et piano (1915), L 144
Siegried PALM, violoncelle, Maria BERGMANN, piano
1966, Studio H. Jansen, Stuttgart-Botnang
Sur les trois sonates de Claude DEBUSSY publiées sur le disque WERGO WER 60 025, cité des notes publiées au verso de la pochette:
"[...]
Après une période de crise grave dans son activité créatrice, résorbée par le début de la Première Guerre Mondiale ainsi que par de grosses difficultés matérielles, Debussy recommença à parler de nouveaux projets en juillet 1915. Il avait l’intention, entre autres, de s’atteler à un vaste cycle: «Six Sonates pour divers instruments»; il ne put cependant terminer que trois de ces sonates prévues.
Les Sonates de Debussy sont pétries d’un travail en profondeur et tout en liberté sur le plan des motifs, dont la succession logique et organique s’effectue en épisodes fermés sur eux-mêmes et d’un potentiel expressif de nature très différenciée où se retrouve la joie de l’ornementation et le langage parfois un peu précieux des pré-classiques. Sur le plan formel Debussy s’opposait de cette façon à la forme ancienne de la sonate avec son déroulement prédéterminé et, comme de nombreux autres compositeurs de son époque, il accomplit ainsi le passage vers la Musique Nouvelle
Même si dans sa musique l’expression de la nature vibre de manière concomitante, il se soucie uniquement de l’architecture obtenue avec des moyens musicaux ou, comme il l’affirme lui-même, de la mise en oeuvre de son «paysage intérieur». Durant les années où les sonates virent le jour Debussy était sous le coup d’une grave maladie qui avait pour effet essentiel d’exerçer une paralysie sur ses forçes créatrices. Cette situation de crise se reflète cependant relativement peu dans la musique surgie à cette période; sa douleur corporelle et la détresse de son âme se transforment en une ironie quasi sarcastique, parfois en sérénité, rarement en résignation ou en mélancholie: c’est l’expression de la maturité humaine et artistique.[...]"
La première de ces trois sonates - pour violoncelle et piano en ré mineur, L 144 - "[...] fut écrite d’un seul jet, comme improvisée, de fin juillet à début août 1915 lors d’un séjour à Pourville, devant la mer. L’auteur avait pensé l’intituler „Pierrot fâché avec la Lune“, — comme un hommage à Watteau, ou peut-être à des poètes de son temps, Jules Laforgue ou Albert Giraud (inspirateur du Pierrot lunaire). La partition ne parut point sous ce titre, cependant merveilleusement évocateur de ce mélange, très debussyste, d’humour sarcastique et de poésie mélancolique. Elle fut créée le 4 mars 1916 à Paris, et publiée par Durand la même année. Signalons, avant tout commentaire, que le violoncelle détient la partie la plus importante, avec un piano souvent confiné dans un rôle accompagnateur (note manuscrite du compositeur: «Que le pianiste n’oublie jamais qu’il ne faut pas lutter contre le violoncelle, mais l’accompagner»). Il y a trois mouvements.
1. PROLOGUE: il est construit avec rigueur, en dépit d’une certaine liberté d’allure. L’entrée a la noblesse majestueuse d’une Ouverture à la française. Cependant le ton, hésitant momentanément entre mineur et majeur, devient bientôt plus intime, délicieusement rêveur, — avec un thème récurrent (on le retrouvera non seulement ici, mais dans les autres mouvements). C’est ensuite un „Allegro“ d’une agitation inquiète, progressant jusqu’au retour du thème. C’est en ré mineur modal et à l’aigu du violoncelle sur une quinte vide que s’évanouira ce „Prologue“, — tel un tintement triste et lointain de cloches.
2. SÉRÉNADE: il s'agit ici d’une pièce traitée dans un caractère „fantastique et léger“, et dans un ton d’ironie à la fois délicate et mordante. En une évocation de guitares et de mandolines, le violoncelle fournit pizzicatos et portandos à un rythme de habanera sur des harmoniques raffinées. Le piano est cantonné dans un registre grave, et semble exprimer la mélancolie d’un „Pierrot“. Le tout se dissout, à la fin, mystérieusement, pour laisser place au finale qui enchaîne.
3. FINALE: là encore, défilent rapidement des images d’Espagne, avec quelques évocations, à la fois rythmiques et lyriques, d’„Ibéria“ (en particuler, les „Parfums de la nuit“). À cet épisode indiqué dans la partition „Con morbidezza“ succède une course de triolets amenant une libre réexposition, — en une forme cyclique considérablement affinée. C’est une brève cadence du violoncelle qui précède les vigoureux accords conclusifs où se retrouve enfin le ton principal de ré mineur. [...]" François-René TRANCHEFORT, Guide de la musique de chambre, Librairie Arthème Fayard 1989, page 263.