Sergei RACHMANINOW
„Trio élégiaque“ pour violon, violoncelle et piano Op. 9
Joseph ROISMAN, violon, Mischa SCHNEIDER, violoncelle
Artur BALSAM, piano
4 avril 1952
Coolidge Auditorium, Library of Congress, Washington
Le second „Trio Élégiaque“ - «À la mémoire d'un grand artiste» - est l'une des compositions les plus émouvantes de la première période créative de Sergei RACHMANINOW. Le jeune compositeur fut profondément touché par le décès brutal de P.I. TSCHAIKOWSKY, qui fut son modèle et pour lequel il avait une profonde admiration. Il commença à composer le trio le jour même où, fin octobre 1893, la triste nouvelle lui parvint. Elle le bouleversa tellement qu il s'isola complètement pendant la composition.
L'oeuvre - unique par ses dimensions et sa profondeur d'émotion - fut achevée en moins de deux mois et le 12 février 1894 sa première audition publique donnée à Moscou, avec le compositeur au piano, Youli Konius au violon et Anatoly Brandukov au violoncelle.
À l'occasion d'une interprétation de l’oeuvre en 1907, Rachmaninow fit des coupures, simplifia la texture, remplaça la sixième variation pour piano solo par une variation de meilleure qualité destinée aux trois instruments et supprima l’harmonium initialement indiqué comme pouvant remplacer le piano dans le premier et le dernier énoncés du thème du mouvement central. Dix ans plus tard, en 1917, il procéda de nouveau à une légère révision. À l’époque, deux versions de l’opus 9 avaient déjà été publiées. Aussi, les toutes dernières modifications ne passèrent-elles au stade de l’impression que dans l’édition de Moscou de 1950. Toutes ces modifications, dont certaines sont tout à fait substantielles, avaient été suggérées par les interprètes successifs de l'oeuvre en vue d’en resserrer le propos et d’en intensifier la ligne mélodique.
Dans ce trio, le second écrit par Rachmaninow, le compositeur apparaît comme un maître exceptionnel. Le thème lyrique s'ouvre sur une profondeur et une tension accrues, jusqu'à atteindre un point culminant tragique, et une qualité de masculinité et de sens est inhérente à la musique. L'utilisation d'intonations proches des vieux hymnes russes ajoute au sérieux et à la sévérité du trio, ainsi qu'à son caractère intrinsèquement russe.
Le célèbre trio de Tschaikowsky, basé sur un thème lyrique similaire (à la mémoire de N. G. Rubinstein 1882), n'a certes pas manqué d'influencer Rachmaninow. Il l'aimait beaucoup. Il suffit de relever au moins un détail: la deuxième partie, comme dans le trio de Tschaikowsky, est écrite sous forme de variations; de même, le finale est basé sur le début du thème du premier mouvement, toujours comme dans le trio de Tschaikowsky.
Il est intéressant de souligner que dans cette composition de jeunesse, nous entendons un exemple du genre propre à Rachmaninow, un genre qui s'épanouira dans toutes ses oeuvres, en particulier dans ses concertos et ses symphonies. Ce qui est typique de Rachmaninow, ce sont les pressions énormes et puissantes, ou la croissance graduelle de son germe thématique, avec un certain ralentissement de l'évolution. Il en résulte une forte tension émotionnelle et une exploration de sa pensée musicale, ainsi qu'un éclat caractéristique qui attire l'attention de l'auditeur, et des culminations tumultueuses qui donnent à sa musique une ampleur particulière. Le contraste entre son pathos lugubre et l'humeur gaie, légère et lyrique, en général si typique des oeuvres de Rachmaninow, s'exprime déjà dans cette oeuvre du compositeur.
"[...] Dans cette oeuvre, Rachmaninov laisse libre cours à une émotion débridée. L’immense tristesse dans laquelle l’a plongé le décès de Tschaikowsky se manifeste dès le premier mouvement dans la plainte en crescendo du violon et du violoncelle, qui s'épanchent sur un lamento obstiné du piano. Cette musique est une confession où s'exprime un deuil profond.
Pour le deuxième mouvement, Rachmaninow a de toute évidence pris comme modèle le puissant mouvement à variations du Trio avec piano de Tchaikowsky. Chacune des huit variations présente un caractère propre, et évolue dans un univers sonore et expressif particulier. À signaler que Rachmaninow a emprunté le thème à son poème symphonique „Le Rocher“, que Tchaikowsky aimait particulièrement.
Le bref finale met en scène une lutte où le piano, à l’attitude résolue, fait face aux plaintes des cordes, jusqu’à ce que revienne inopinément le début du lamento du premier mouvement. L‘oeuvre meurt dans les couleurs sombres de l’extrême grave des instruments. [...]" cité des notes de Björn Woll, traduction de Daniel Fesquet, publiées dans le livret du CD Deutsche Grammophon 479 6979.
L'enregistrement du „Trio élégiaque“ Op. 9 de Sergei RACHMANINOW proposé ici provient d'un concert donné le 4 avril 1952 dans l'auditorium Coolidge de la Bibliothèque du Congrès de Washington, avec Artur BALSAM au piano, Joseph ROISMAN au violon et Mischa SCHNEIDER au violoncelle (tous deux membres du Quatuor à cordes de Budapest, de 1940 à 1962 quatuor résident de la bibliothèque du Congrès):