Georg Philipp TELEMANN
Ouverture (Suite) en ré majeur pour hautbois
trompette, cordes et continuo, TWV 55:D1
Maurice ANDRÉ, trompette, Pierre PIERLOT, hautbois
Jean-Pierre WALLEZ et Nicole LAROQUE, violons
Annette QUEILLE, alto, Henri MARTINERIE, cello
Laurence BOULAY, clavecin
Collegium Musicum de Paris
Roland DOUATTE
196?
Les trois oeuvres de ce disque ont en commun la splendide sonorité des cuivres baroques du XVIIIe siècle - une trompette dans le Telemann de la première face, deux cors “français” - sans soupapes - dans la paire de concerti de Vivaldi sur l'autre face.
L'ouverture (suite orchestrale) de Telemann, d'une ampleur inhabituelle, est une oeuvre remarquable à plus d'un titre. Tout d'abord, c'est une belle illustration de la plus aimable des caractéristiques baroques, l'“interchangeabilité des différentes parties” - des formes, des idiomes, des styles entre les différents types d'écriture baroque. Cette oeuvre combine ingénieusement les éléments de la suite orchestrale avec ceux du concerto grosso pour groupe d'instruments solistes et forces orchestrales environnantes. C'est à la fois un concerto grosso et une suite.
Les grandes dimensions de l'oeuvre vont de pair avec un type de structure consciemment arrangée, que l'on pourrait qualifier de décorative ou festive, plutôt que de dynamique. La musique est comme une immense tapisserie, richement ornementée, prolifique en détails et très étendue, mais en même temps délibérément statique, dont l'impact dépend de la magnificence cumulative plutôt que de la tension dramatique. Il ne fait aucun doute que telle était l'intention de Telemann - et nous aurions tort de l'attribuer à un quelconque “manque” ou à une erreur de calcul de sa part.
Les auditeurs qui connaissent les Concerti pour orgue de Haendel seront intrigués de découvrir que deux des cinq mouvements de cette ouverture de Telemann furent repris par Haendel dans le dixième de ses concerti, l'opus 7 numéro 4 en ré mineur. Haendel emprunta l'intégralité du “tutti” ouvrant le second mouvement, presque note pour note, et reprit en outre le schéma rythmique du troisième mouvement, transféré du majeur au mineur.
Abordons d'abord ce dernier point des reprises. Les circonstances sont intéressantes. L'ouverture de Telemann fait partie de sa „Musique de Table“, un recueil d'oeuvres qu'il publia en trois parties - ou “productions” - en 1733, sur la base d'une souscription. Il se trouve qu'il n'y avait qu'un seul abonné à cette publication dans toute l'Angleterre - George Frideric Haendel. Ce dernier fit bon usage de sa connaissance exclusive sur cette ample collection de musique d'un nouveau genre, entièrement inconnue du public britannique. Des idées en furent systématiquement extraites et intégrées à la production haendélienne - pendant un certain nombre d'années.
En plus, Haendel utilisa par la suite le premier mouvement d'ouverture de Telemann dans son Hercule de 1744, réécrit en un choeur intitulé “Crown with Festal Pomp the Day!” (Couronnez le jour avec une pompe festive)
Est-ce-qu'il était un plagiaire scandaleux? Pas à son époque. Deux points sont en sa faveur. Tout d'abord, à l'époque baroque, les emprunts de ce genre étaient considérés comme allant de soi - en fait, ils étaient souvent considérés comme un compliment au compositeur original, une reconnaissance de la valeur de ses idées. Un homme de la stature de Haendel n'aurait pu autrement “voler” autant qu'il l'a fait, sans scandale. Mais ce qui est encore plus important, c'est le traitement réel de l'emprunt. Haendel l'a utilisé de manière créative et magistrale. Il a recomposé la musique originale (ainsi que ses propres oeuvres existantes) pour s'adapter à chaque nouvelle occasion, avec ce merveilleux sens de la justesse de la forme et de la fonction qui faisait partie de la virtuosité technique des compositeurs baroques. Si, à l'occasion, Haendel reprenait une oeuvre intacte, c'était parce que la musique correspondait exactement à sa nouvelle fonction. Bien plus souvent, il emprunte des idées, des sections, des thèmes, et les remanie dans de nouvelles oeuvres en faire de nouvelles compositions - et c'est le cas pour la présente Ouverture de Telemann.
L'Ouverture est destinée à un ensemble comprenant une trompette et un hautbois solistes, tous deux très actifs, ainsi que des cordes solistes occasionnelles. L'habile traitement en concerto grosso confère à cet élément soliste une richesse qui dément sa taille modeste. L'oeuvre commence par l'ouverture proverbiale attendue, dans le format “français” familier, une ouverture lente, massive et en marche, avec d'impressionnantes figures rythmiques pointées - sans pauses, elle revient à la musique lente du début. C'est dans les sections centrales rapides de ce genre d'ouverture que Telemann fait preuve de sa plus grande imagination et de ses prouesses techniques. Au lieu de la fugue instrumentale parfois routinière à laquelle on peut s'attendre, il propose presque toujours quelque chose de spécial. Dans cette oeuvre, il s'agit en soi d'un mouvement de concerto grosso à grande échelle, concerto grosso modifié, la brillante première section servant de “tutti”, suivie de passages “solos” typiques entre de plus courtes tranches de “tutti” à la Bach, partiellement confiées aux solistes. Le premier passage solo fait intervenir la trompette et le hautbois en tierce, auxquels font écho des cordes solistes, puis vient un solo de hautbois, un solo de violon, à nouveau un bref solo de hautbois, puis un solo de violon, le hautbois à nouveau brièvement et la trompette de même, suivi symétriquement par le hautbois et la trompette, encore une fois, complétant la forme et amenant le “tutti” final dans la tonalité d'origine, qui nous ramène, avec surprise et plaisir, à la musique lente de l'ouverture.
Comme d'habitude, le massif premier mouvement domine une suite de mouvements plus courts, plus mélodieux ou plus dansants; mais ici, le principe est purement relatif. Le premier mouvement est si ample que ceux qui suivent peuvent être des mouvements de concerto grosso à part entière tout en restant proportionnés.
Ces quatre pièces s'intitulent „Air“, un terme qui pourrait sembler être tiré par les cheveux pour des structures musicales aussi élaborées; mais Telemann s'appuie sur des bases procédurales solides. Bien que chacune d'entre elles soit de style concertant, les thèmes des “tutti” sont suffisamment “accrocheurs” pour être considérés comme des airs - une circonstance qui a sans aucun doute attiré l'Haendel enclin à la mélodie! Entre ses mains, et dans un habillage musical simplifié, ils sont tout à fait “haendéliens” tels qu'ils apparaissent dans son Concerto pour orgue.
Le premier „Air“ commence par un joyeux air de trompette à quatre temps que Haendel reprit intégralement - en l'amplifiant, par des répétitions internes, jusqu'à le rendre deux fois plus long. „Air“ ou pas, ce mouvement reste invariablement dans le format du concerto grosso, les récurrences successives du thème haendélien servant de “tutti”.
Le second „Air“, lui aussi haendélien avant l'heure, est une mélodie de type menuet qui se prolonge par des figurations solistes baroques élaborées - il y a trois sections de “tutti” sur le thème d'ouverture, toutes typiquement (pour cette musique quelque peu statique) dans la tonalité de ré majeur qui est la sienne.
Le troisème „Air“ est un autre grand mouvement de concerto, d'inspiration plus vivaldienne, avec un “tutti” d'ouverture vigoureusement syncopé qui se termine par des octaves “vivaldiennes” suivies par un violon solo “vivaldien” - bien que les autres voix solistes ne tardent pas à entrer en scène. Six sections de “tutti” complètent ce grand mouvement, toujours dans la tonalité d'origine; cet „Air“ tire ses légers contrastes harmoniques des excursions des passages solistes, en particulier le long passage en si mineur, après le troisième “tutti”, qui se termine par une semi-cadence et une ritournelle avant le retour de la musique d'ouverture. Cette structure harmonique confère une qualité de rondo à la musique.
L'„Air“ final est en trois temps rapides, suggérant la gigue attendue qui conclut traditionnellement une suite de ce genre. Il y a même une bonne suggestion de la forme de danse binaire habituelle; mais une fois de plus, il y a aussi des éléments de concerto, des passages solos alternant avec des “tutti” - et très près d'une “forme sonate” aussi (comme souvent chez Telemann), par le fort contraste harmonique qui vient dans la seconde moitié, suivi d'une “récapitulation”, un “tutti” dans la tonalité d'origine. Mais le principe du concerto l'emporte grâce à un nouveau contraste en solo, puis au “tutti” final de grande taille qui équilibre la musique d'ouverture.
Les interprètes de cette Ouverture (Suite) en ré majeur pour hautbois, trompette, cordes et continuo, TWV 55:D1, de Georg Philipp TELEMANN: Maurice ANDRÉ, trompette, Pierre PIERLOT, hautbois, Jean-Pierre WALLEZ et Nicole LAROQUE, violons, Annette QUEILLE, alto, Henri MARTINERIE, violoncelle, Laurence BOULAY, clavecin, le Collegium Musicum de Paris, le tout étant dirigé par Roland DOUATTE: