Pour une courte présentation de cette oeuvre, voir la page de l'enregistrement qu'en a fait Pierre Fournier en 1957 avec Hans Rosbaud.
Robert Schumann vers 1840, donc une dizaine d'années avant la composition de son concerto pour violoncelle, lithographie de Josef Kriehuber, extrait
Date d'édition: 1840. Droits: domaine public. Identifiant: ark:/12148/btv1b84248560. Source: Bibliothèque nationale de France. Notice du catalogue. Notice de recueil. Photo, original.
8e concert de l'abonnement de la saison 1956-1957 de l'Orchestre de la Suisse Romande donné le 6 février 1957 au Victoria-Hall de Genève, diffusé en direct sur l'émetteur de Sottens
Ce concert fut également donné le 4 février à Lausanne (Beaulieu) et le 7 à Fribourg (Aula de l'Université). Ferenc FRICSAY venait presque en voisin, car il résidait depuis 1953 à Ermatingen (Thurgovie).
Ferenc FRICSAY avec son épouse Silvia et ses enfants Ferenc, Marta, Andras und Kristian (de gauche à droite) dans le jardin de leur villa à Ermatingen, cité de cette page du site du musée d'Ermatingen
Les concerts furent abondamment commentés dans la presse suisse romande, car la venue de Ferenc Fricsay était un évènement pour la vie musicale de la Suisse Romande. Sur celui donné à Lausanne, Aloys FORNEROD écrivait dans la Tribune de Lausanne du 11 février 1957, page 2:
"[...] M. Ferenc Fricsay, qui conduisait l'orchestre de la Suisse romande, donna une bonne interprétation de cette Héroïque. IL fut acclamé par un public emballé, et je regrette de n'avoir pu partager cet emballement, du moins jusqu'au même degré de température. Dire pourquoi ne serait pas facile, et je sais bien que les humeurs du critique peuvent altérer son jugement. Cependant, si je m'interroge, je trouve au moins deux raisons qu'il est possible de formuler. M. Fricsay nuance d'une manière un peu «spectaculaire», en exagérant, et, si cela fait son petit effet, c'est Beethoven qui pâtit. Plus de simplicité, moins d'apprêt, moins d'importance accordée à chaque détail, et la pensée de Beethoven se dégage mieux. A cet égard, je dois dire que les interprétations beethovéniennes actuelles de M. Ansermet me satisfont davantage. Ensuite, j'en veux à M. Fricsay d'avoir doublé, à l'américaine, les instruments du groupe des «bois».
Les salles de concerts d'Amérique sont immenses (tant pis!) et l'on y a été amené à augmenter considérablement le nombre des «cordes» pour que l'ampleur de la sonorité réponde à l'ampleur de la salle. Les «bois» ont alors été couverts par les «cordes». Le diable a aussitôt soufflé à l'oreille du chef d'orchestre le conseil de faire jouer la partie de première flûte par deux flûtistes, la partie de seconde flûte également par deux flûtistes, et ainsi de suite. La quantité y trouve son compte, mais point la qualité, car, dans l'orchestre classique, chaque «souffleur» est soliste, et c'est un jeu individuel que l'on attend de lui. Beethoven a pensé son orchestration pour cet orchestre-là et non pour un orchestre américain.
Je sais bien que M. Fricsay a eu soin de ne prendre qu'une seule flûte ou qu'un seul hautbois lorsque le jeu individuel était particulièrement souhaitable. Reste que, même dans les ensembles, la sonorité de l'orchestre était moins beethovénienne, un peu neutre et quelconque bien que très puissante. Or la salle de Beaulieu est si sonore qu'on y entend parfaitement un pianissimo de clarinette, ce qui fait que les redoublements de M. Fricsay n'apportaient rien de valable. D'ailleurs, si les cordes sont trop nombreuses pour s'équilibrer avec les «bois», il y a un moyen très simple d'y porter remède, c'est de supprimer quelques pupitres du «cordes». Beethoven n'y perdrait rien, au contraire.
Cette explication a pris trop de place et donne trop d'importance à une critique particulière. Dans l'ensemble, l'interprétation de M. Fricsay fut très bonne. Et, d'ailleurs, je suis sûr que la plupart des auditeurs ne sont pas de mon avis. Je n'ai parlé qu'en mon nom personnel.
M. Pierre Fournier est un violoncelliste qui obtient de son instrument un son prodigieusement pur et beau, absolument dégagé des scories qui déparent le jeu de tant de violoncellistes. Il chante d'une manière on ne peut plus expressive. Il séduit son public. Son interprétation du concerto de Schumann fut très belle. Quel dommage que le répertoire du violoncelle soit si pauvre que l'on soit forcé de jouer souvent ce concerto-là, qui n'est pas du meilleur Schumann, bien qu'il contienne des pages touchantes.
Les Danses de Galanta de Zoltan Kodaly ont permis à M. Fricsay de donner sa mesure. Il en conduisit une exécution extrêmement brillante. Cette musique dit admirablement ce qu'elle a à dire, elle est racée. On l'applaudit frénétiquement.
L'orchestre de la Suisse romande fut admirable, d'un bout à l'autre du programme. Quel bel instrument! L'un de ses membres, M. Léon Hoogstoël, clarinettiste, a droit à une mention spéciale pour ses solos dans le Kodaly. [...]"
Dans la Nouvelle Revue de Lausanne du 6 février 1957, page 6, on pouvait lire ce que pensait Hermann LANG du même concert:
"[...] Par une coïncidence étrange — quand on songe que les engagements d'artistes sont signés l'été ou même le printemps précédant la saison d'hiver — ce sont les Hongrois qui cette année ont remué le plus intensément le coeur de nos auditoires musiciens. Il semble que, par un décret de la fatalité, la nation crucifiée nous avait délégué, bien avant les sanglants événements de novembre et de décembre, ses artistes les plus noblement émouvants. Que l'on pense aux incomparables archets du quatuor Vegh et du Quatuor Hongrois. Et lundi soir, c'était le tour du jeune et grand chef d'orchestre Ferenc Fricsay, l'actuel «Generalmusikdirector» de Munich — qui habite en Suisse, à Ermatingen, sur le lac de Constance — de soulever l'enthousiasme de la salle de Beaulieu.
Brûlant d'ardeur généreuse et cependant solidement ancrée dans une conception mûrement réfléchie de l'oeuvre d'art, Ferenc Fricsay est de ces artistes qui paient de leur personne, se livrant coeur et âme. Finie cette génération de chefs d'orchestre qui entendaient diriger Beethoven les talons joints, le geste élégant, soucieux d'une plastique distinguée. Il arrive à Ferenc Fricsay, qui sue sang et eau et s'éponge entre les mouvements, de se tenir comme un matelot sur le pont par mer démontée, de fléchir les jambes, de se rapetisser lors d'un piano subit. Tel Beethoven au pupitre autrefois; toutes dérogations sévèrement interdites par le code du parfait chef d'orchestre.
Mais aussi quelle sincérité, quelle intensité expressive. Tout chez lui tend au creusement, à l'approfondissement de la pensée musicale. D'où de fréquents mouvements retenus, et même une distension de la ligne mélodique, un soin du détail rare, une plastique chantante, une couleur et une transparence des bois, une rondeur, une plénitude, une richesse des basses à cordes, qui transportent d'admiration.
Ainsi apparut l'Eroica repensée, recréée, revécue, rechargée de son potentiel d'humanité, la grande voix prophétique, messianique de la musique.
À ceux qui prennent des airs de détachement à propos du Concerto de violoncelle en la mineur de Schumann, écrit en 1850 à Dusseldorf au milieu des tracas d'une carrière de chef d'orchestre fertile en déboires, il suffit de citer le Juqement du grand Casals: «Du commencement à la fin, la musique en est sublime.» Le mot sublime n'est peut-être pas exact , disons plutôt poignante. Car l'oeuvre est révélatrice du drame de Schumann , entré progressivement dans les ténèbres de la folie. Folie causée par un surmenage intellectuel intense où les périodes de prostration succédaient aux jaillissements créateurs.
Le Concerto de violoncelle est une autobiographie qui serre le coeur. Le premier mouvement, sorte de soliloque mélancolique, semble se dérouler dans une nuit peuplée de phantasmes, d'ombres effarouchées: fièvres, solitude, apparitions. Et brusquement descend du ciel la voix consolatrice, le concert des anges; s'ouvre cette extraordinaire éclaircie du langsam d'une tendresse infinie. Le final? Empli du donquichottisme le plus pur. Evasion, scène de chevalerie, chevaux fringants, défilés, assauts de générosité; et, avec la réapparition de l'idée fixe du début, de nouveaux accents de mélancolie.
Techniquement le Concerto de violoncelle de Schumann est sans fêlure; l'orchestre, sobrement traité, permet au soliste de s'épanouir librement.
Ce fut le cas en ce concert où Pierre Fournier apportait une collaboration aujourd'hui inégalée, Pablo Casals étant entré dans la légende.
Le grand artiste français, dont on ne perdit pas une note même dans les traits les plus scabreux, restitue au Concerto de Schumann toute sa poésie nostalgique, ses fièvres, ses tendres effusions. Guidé par un chef au tact le plus délicat, l'OSR, ce soir-là, particulièrement sensible et expressif, accompagna à la perfection.
L'orchestre devait faire admirer les multiples ressources de virtuosité, de coloris, d'exubérance sonore dans les Danses de Galanta du Hongrois Zoltan Kodaly, que le chef Ferenc Fricsay, mû par un instinct ancestral, plaça dans leur milieu, leur tradition, avec les alternances de leurs mouvements lents et rapides, leurs longues mélopées solistiques baignées de mélancolie, les irruptions collectives s'enflant en bourrasques jusqu'au vertige. [...]"
Sur le concert donné à Genève, Franz WALTER écrivait dans le Journal de Genève du 7 février en page 6:
"[...] Rare conjoncture que celle de ce huitième concert qui réunissait à la tête d'un orchestre visiblement électrisé et ébloui, un chef de l'envergure de Ferenc Fricsay et un soliste comme Pierre Fournier auquel on ne voit pas actuellement à trouver son égal. La place m'est malheureusement mesurée ce soir pour relever dans les termes qu'il faudrait l'extraordinaire niveau de ce concert pour lequel il n'y a qu'éloge à formuler.
Mais nous avons parlé déjà longuement lors de sa première apparition la saison dernière de l'art aussi prestigieux qu'original de Ferenc Fricsay où la volonté et l'instinct trouvent à s'équilibrer dans le plus étonnant dualisme. M. Fricsay est d'abord le plus extraordinaire des stratèges. Avec une lucidité et une détermination absolues il organise ses interprétations selon un plan qui apparaît mûrement établi et qu'il réalise manifestement avec la plus implacable sûreté. Pour arriver à ses fins, il n'est, pas d'indication qu'il ménage, témoignant en cela d'ailleurs d'un esprit d'analyse et de synthèse surprenant qui lui permet d'agir avec efficacité en même temps et tout en les diversifiant sur plusieurs secteurs de son orchestre.
Mais cette action multiple et souvent insistante et autoritaire trouve pourtant à éviter les dangers qu'elle comporte — soit de brider les musiciens ou de créer l'agitation — parce qu'elle est le fait non d'une froide volonté, mais d'un besoin ardent et passionné. Aussi a-t-elle le secret d'entraîner l'adhésion et non la soumission du musicien d'orchestre.
C'est là certes un art assez éloigné en un sens de la vieille tradition classique germanique, par son caractère très extériorisé, mais que ramène pourtant à une grande ligne le souffle extraordinaire qui l'anime.
D'où une «Héroïque» frémissante, dramatique, passionnante véritablement d'un bout à l'autre. Et je n'ai pas besoin de relever la vie intense que Ferenc Fricsay communiqua aux «Danses de Galanta» la savoureuse et un brin déclamatoire partition de Kodaly.
Que dire enfin de Pierre Fournier que nous n'ayons déjà dit, sinon qu'il nous a rarement paru aussi près de la perfection que dans son interprétation du concerto de Schumann dont il ne résout pas seulement tous les problèmes techniques avec une élégance, une aisance et une précision inouïes, mais dont il dégage l'intense lyrisme avec autant de générosité, de chaleur que de noblesse. [...]"
Voici donc...
Robert Schumann, Concerto pour violoncelle et orchestre en la mineur, op. 129, Pierre Fournier, Orchestre de la Suisse Romande, Ferenc Fricsay, 6 février 1957
1. Nicht zu schnell (-> 11:05:940)
2. Langsam (-> 14:07:590)
3. Sehr lebhaft 24:34 (-> 24:34)
Provenance: Radiodiffusion, Archives Radio Suisse Romande (RSR)
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1. Nicht zu schnell (-> 11:05:940), 2. Langsam (14:07:590), 3. Sehr lebhaft
Ferenc FRICSAY, un portrait publié dans la revue Radio Je vois tout Télévision du 14 août 1958. No 33, page 10
Pierre FOURNIER, 27 septembre 1957, un portrait fait par Erich AUERBACH (cliquer sur la photo pour une vue agrandie, cliquer EN DEHORS de la vue agrandie pour la fermer)
Pierre FOURNIER, portraits publiés dans divers cahiers de la revue Radio Je vois tout Télévision entre 1958 et 1964