Édouard Lalo composa son Concerto pour piano en 1888; l'oeuvre fut d’abord donnée en audition privée chez le compositeur, le 11 novembre 1889. Quelques jours auparavant, à propos de cette audition, Lalo avait écrivit à Pauline Viardot: «Diémer et Staub essaieront mon nouveau c[oncert]o pour piano, chez moi, sans aucune toilette; nous n’aurons que quelques intimes, ne voulant pas de public pour le premier essai d’un morceau que je ne connais pas moi-même.» La première audition publique eut lieu quelques jours plus tard, le 1er décembre, au Théâtre du Châtelet sous la direction d’Édouard Colonne avec le dédicataire de l’oeuvre, Louis Diémer.
Dans cette oeuvre, le piano n'apparaît pas vraiment en soliste, il est plutôt intégré à la texture orchestrale. Bien que l’écriture de la partie panistique soit exigeante et rappelle celle des grands concertos romantiques, on n’y retrouve ainsi guère d’occasions pour le soliste de briller - l’oeuvre ne compte entre outre aucune cadence - ce qui pourrait expliquer que cette oeuvre soit rarement jouée, et ne fut que rarement enregistrée pour le disque.
"[...] Le concerto, qui pourra rappeler celui de Schumann, reprend la forme traditionnelle en trois mouvements. Le premier mouvement a fait dire au biographe Gilles Thieblot que Lalo semblait s’inspirer de César Franck tant au niveau du climat, rêveur et mélancolique, qui rappelle le début de ses Variations symphoniques, qu’à celui du travail sur les thèmes davantage à la manière d’une mosaïque que d’un développement classique de type forme sonate. Comme chez Franck également, les thèmes entendus dans le premier mouvement reviendront dans le second, une berceuse baignant dans une atmosphère heureuse ainsi que dans le troisième, Allegro. À l’approche de la conclusion, on se serait attendu à une cadence virtuose mais Lalo l’évite et termine plutôt avec une coda lumineuse. [...]" cité des notes de Jean-Pascal VACHON publiée en 2012 dans le livret du CD BIS-1890 SACD.
Le premier mouvement s'ouvre par un Lento dans lequel sont introduits certains des éléments qui seront abordés au cours de la musique. L'élément le plus caractéristique du thème principal de l'Allegro est le rythme „minim-triplet“ (deux temps du temps commun substitués par un triolet) dont l'insistance est un trait si marquant de la Symphonie Espagnole. Un thème subsidiaire est introduit dans l'orchestre, qui fournira du matériel aux deux mouvements suivants. Après une certaine élaboration, faisant preuve d'ingéniosité contrapuntique et, de façon surprenante, de la note “blues” de la septième mixolydienne dans un fragment thématique bien visible, le deuxième sujet lyrique en la bémol est annoncé au piano. La coda est en mode majeur et présente une variante de la phrase subsidiaire du thème principal (avec sa quatrième chute caractéristique et son triolet pathétique).
Le second mouvement est, de manière quelque peu surprenante, en mi bémol. Il s'agit d'un simple schéma ternaire, dont la principale caractéristique est le motif ostinato doucement balancé avec lequel il s'ouvre et qui persiste dans la première section. La partie centrale présente une combinaison ingénieuse de motifs avec des fragments augmentés dans sa composition thématique. La conclusion présente des couleurs orchestrales raffinées.
Le troisième mouvement est d'une forme épisodique, c'est-à-dire d'un schéma de sonate dont la section de développement est remplacée par un épisode en trio, dominé par le mètre dactylique du thème principal et les motifs qui en découlent. Son ouverture vigoureuse est en si bémol mineur, afin de rendre plus efficace le fa mineur du thème principal et sa saveur espagnole. L'épisode est en do: thématiquement, il présente une variante du groupe subsidiaire du premier mouvement, avec son triolet caractéristique étendu ici à une mesure entière de 6/8. Il est réaffirmé en la bémol, ce qui conduit à la récapitulation du groupe principal d'accents espagnols. Après une référence au thème de l'épisode en fa majeur, le mode mineur revient avec le rythme espagnol, pour être suivi d'une dernière référence à l'archétype du thème de l'“ideefixe”. La coda met en valeur le mètre dactylique dans un fa majeur triomphant.