La Sonate en sol majeur opus 96, la troisième à compter quatre mouvements, fut composée pendant le dernier trimestre 1812."[...] Elle est née à une occasion particulière, à l’intention de celui qui, avec Rodolphe Kreutzer (1766-1831) et Pierre Baillot (1771-1842), était sans doute le plus célèbre violoniste français de cette époque: Pierre Rode (1774-1830). Alors en tournée à Vienne, ce dernier avait prévu de jouer pour le prince Lobkowitz le 29 décembre 1812.
Dans une lettre à l’archiduc Rodolphe d’Autriche, peu avant la première audition publique, Beethoven avouait à propos du dernier mouvement de sa sonate: «Je ne me suis ainsi [...] pas trop pressé avec le dernier morceau, d’autant plus que je devais l’écrire avec plus de réflexion, en pensant au jeu de Rode: nous avons volontiers dans nos finales des passages plus enfiévrés, mais cela ne convient pas à R[ode] et m’a quelque peu embarrassé.» Cela explique peut-être pourquoi l’opus 96 ne se termine pas sur un mouvement allegro, voire presto, mais par un Poco Allegretto.
À la différence de la Sonate en la majeur, opus 47, dite Sonate «À Kreutzer», qui la précède, la sonate destinée à Pierre Rode n’est manifestement pas pensée pour un virtuose, mais obéit à une autre esthétique. Carl Czerny (1791-1857), élève de Beethoven, écrivit à propos du premier mouvement de cette sonate: «Écrit dans un caractère calmement noble, mélodieux mais aussi humoristique, ce mouvement doit être interprété avec tendresse et sentiment, dans un tempo modéré (presque tempo di menuetto), car il ne doit être joué ni de façon brillante, ni avec quelque affectation de virtuosité que ce soit.» [...]" cité des notes de Beate Angelika KRAUS publiées en 2017 dans le livret du CD ALPHA CLASSICS ALPHA 407.
Le dédicataire de cette sonate n’est toutefois pas Pierre Rode mais l’archiduc Rodolphe, qui tenait la partie de piano lors de la première audition devant un public d’invités. Elle fut publiée en été 1816 chez Steiner (Vienne), après que le compositeur eut apporté des modifications à la partition. Ce fut la dernière sonate pour violon et piano qu’il composa. Il était parvenu à poser de nouvelles normes pour ce genre, tant en ce qui concerne la forme et le traitement à égalité des deux instruments que pour la profondeur expressive.
"[...] L'Allegro moderato initial est tout empreint de délicatesse et de sobriété, l'équilibre du dialogue instrumental reposant essentiellement sur la subtilité du phrasé et l'équilibre entre les deux partenaires.
Un délicieux Adagio espressivo, d'une nature essentiellement mélodique et imprégné d'un mélange de désir et de mélancolie précède un Scherzo sautillant dont le Trio suggère presque déjà Schubert.
Le mouvement final est en plusieurs sections: d'abord un Poco Allegretto dansant, interrompu par un Adagio espressivo méditatif et puis un Allegro. À l'intérieur même de cet Allegro, et formant un contraste saisissant, se trouve un passage en imitation canonique. À la première écoute, la sonate op. 96 semble plus anodine que la monumentale sonate à Kreutzer; en réalité c'est une oeuvre immense, lumineuse, débordante de force et de fluidité. [...]" cité des notes de Bryon N.S. GOOCH, dans une traduction de Sylvia L'ECUYER, publiées en 2001 dans le livret du CD SKYLARK 0101.
L'interprétation proposée ici fut enregistrée en concert, Clara HASKIL étant accompagnée au violon par Arthur GRUMIAUX. En 1956, pour Philips, ils avaient commencé d'enregister les 10 sonates pour violon et piano de Beethoven - une série qui est aujourd'hui encore une référence. Ils commencèrent aussi de jouer ces oeuvres ensemble en concert, pour la première fois au Festival de Besançon, le 6 septembre de l'année suivante. Au programme:
Ludwig van Beethoven, Sonate en mi bémol majeur pour violon et piano, Op.96, Clara Haskil, Arthur Grumiaux, 6 septembre 1957, Théâtre Municipal de Besançon