"[...] Voici comment il m’a «raconté» le final de la Symphonie Liturgique [...].
Cela commence par le thème de la «c......e humaine», sorte de marche qui piétine autour des mêmes notes, bégayante, répétant toujours la même chose: guerre, douane, militarisme, nationalisme, paperasserie, transformation progressive de l’homme en esclave d'une Administration aveugle et sourde.
Un second thème esquisse la réaction de défense de l’Homme, mais la c......e submerge tout, jusqu'à ce qu’éclate le cri universel, sorte de «Au secours! au secours!» qui se traduit en latin par... «Dona nobis pacem! dona nobis pacem!» ( sic ). Et puis, le calme revient. On s’évade par le haut: aspiration à la Pureté. Espoir de paix... Sérénité. Tiens! Il y a même encore des oiseaux pour chanter dans les arbres.
... Impression très nette qu’avec un peu de bonne volonté tout cela pourrait si bien s’arranger! ...
Ce chant d’oiseau frère du Rossignol de Jeanne au Bûcher et qui constitue la coda de la troisième symphonie, nous en trouvons déjà le dessin à la fin du premier mouvement «Dies irae», mais ici sous la forme d’une large plainte que la flûte, le cor anglais, le trombone, le tuba exhalent ensemble à leurs étages respectifs. À la fin du second morceau «De profundis clamavi», c’est encore lui que gazouille par petits fragments la flûte planante, oiseau d ’espoir.
Notons que les versets liturgiques servant d’exergue aux trois mouvements de la Troisième Symphonie ne sont pas des données thématiques empruntées au chant grégorien, mais les thèses littérales que l’auteur paraphrase librement: Dies irae, De profundis clamavi, Dona nobis pacem.
Chaque thème est clairement issu du syllabisme latin. Il n’est en aucune manière thème principal, initial. Il vient, il éclate.
Dès les premières mesures, l’auditeur est empoigné par cet orchestre fulgurant, plein de heurts, de tremblements paniques, de rythmes irrésistibles qui se font de plus en plus martelés, lourds, écrasants. Et puis le lyrisme apparaît avec les cordes qui, de toute leur mélodique expansion, chantent au-dessus de la catastrophe.
Dans le De profundis, Honegger trouve un prétexte idéal à ces lentes et irrésistibles progressions dont il a la clef. Le terrible cri monte, retombe et reprend de plus belle, jusqu’à devenir la prière stable du psaume cher à Bach «je prie vers toi», et alors, haut, très haut dans la nue, répond l’oiseau angélique, véritable thème générateur de l'ouvrage, qui finira par avoir raison de la «c......e humaine» au troisième volet du triptyque.
La Symphonie Liturgique, moment pathétique de cette musique contemporaine qui est plus riche en invention qu’en grandeur, est en somme sur le plan des idées, l’aboutissement logique des «Cris du Monde». [...]"
"[...]
«Cette 3e Symphonie est comme la plupart de mes oeuvres symphoniques en forme de triptyque. Elle est en directe réaction contre la mode de la musique dite «objective». Chacune des trois parties veut tenter d’exprimer une idée, une pensée que je ne veux pas qualifier de philosophique - ce serait prétentieux - mais le sentiment personnel de l’auteur. J’ai donc fait appel aux sous-titres liturgiques et intitulé la symphonie «liturgique», espérant ainsi me faire mieux comprendre.
«I. Dies irae: cela ne pose aucun problème, car nous avons tous vécu ces jours de guerre, de révolution, dont ceux qui président à leurs destinées ont gratifié leurs peuples.
«II. De profundis clamavi ad te: tout ce qui reste encore de pur, de clair, de confiant dans l’homme se tend vers cette force que nous sentons au-dessus de nous. Dieu, peut-être, ou ce que chacun porte avec ferveur au plus secret de son âme.
«III. Dona nobis pacem: la montée inéluctable de la stupidité du monde: le nationalisme, le militarisme, la paperasserie, les administrations, les douanes, les impôts, les guerres, tout ce que l’homme a inventé pour persécuter l’homme, l’avilir et le transformer en robot. L’effroyable bêtise qui aboutit à forcer ce cri du désespoir: «Dona nobis pacem.» Et cela se termine par une brève méditation sur ce que la vie pourrait être: le calme, l’amour, la joie... un chant d’oiseau, la nature, la paix.
«Je pensais depuis longtemps à cette symphonie. Lentement les mélodies de l’Adagio naissaient en moi et se soudaient les unes aux autres. J’avais déjà le noyau central, ce De profundis clamavi ad te Domine [...] qui devait sourdre du fond de l’abîme jusqu’aux cris aigus du désespoir, puis retomber, se calmer, s’éteindre.
«La tornade du premier morceau m’est soudain apparue toute claire, toute bâtie, dans le court trajet de train qui me menait de Bâle à Berne. J’en ai noté le squelette tout entier le soir avant de me coucher.
«Aussi rapidement, mais j’ai oublié quand, j’ai vu se dresser devant moi le Final. Naturellement l'idée de base de cette montée vers le cri de désespoir était déjà bien fixée dans mon esprit. La coda lente aussi, mais j'y ai travaillé longtemps, sauf pour la phrase en fa dièse du violon et du violoncelle solo, que j'ai notée, en pardessus, tout prêt à sortir pour déjeuner, debout, un genou appuyé sur ma chaise.
«C’est la symphonie de moi que je préfère, avec la 4e pour de tout autres raisons. Je crois que c'est à ce moment où j’ai été le plus complètement en possession de mes moyens.» [...]" Harry HALBREICH, cité des pages 391-392 de son ouvrage «Arthur HONEGGER - un musicien dans la cité des hommes», Fayard 1992, EAN: 9782213028378