Wolfgang Amadeus Mozart composa ce concerto entre l'hiver 1782 et le printemps 1783: avec les KV 413 et 414 ce sont les premiers concertos que Mozart composa à Vienne, écrits pour ses concerts et souscriptions dans l'intention de charmer les Viennois. Le 28 décembre 1782 il écrivit dans une lettre à son père: "[...] Les concertos sont un heureux compromis entre facilité et complexité. Ils sont très brillants, agréables à l’oreille et simples sans être pour autant insipides. Il y a ici et là des passages que seuls les connaisseurs peuvent apprécier, mais ils sont écrits de telle manière que les auditeurs moins avertis seront ravis, sans toutefois savoir pourquoi[...]" cité des notes de John IRVING publiées en 2015 dans le livret du CD BIS-2074 de BIS Records AB.
Le 15 janvier 1783, dans le «Wiener Zeitung», Mozart annonça cette série de trois «concertos de souscription» avec confiance: "[...] Monsieur le maître de chapelle Mozart fait porter à la connaissance de son public très estimé la publication de trois nouveaux concerts pour piano. Ces trois concertos, dont l’accompagnement peut être joué par un orchestre entier, avec une section de vents, ou par un quatuor, à savoir deux violons, un alto et un violoncelle, seront disponibles au début d’avril pour ceux qui les ont commandés (magnifiquement copiés sous la supervision du compositeur lui-même).[...]" Wiener Zeitung, 15.01.1783, cité du livret BIS référencié ci-dessus.
L'oeuvre fut donnée en première audition par le compositeur le 22 mars 1783 au «Wiener Burgtheater» .
John IRVING en 2015 sur ce concerto:
"[...] Les manuscrits autographes qui nous sont parvenus (conservés aujourd’hui à la Bibliothèque Jagellonne de l’Université de Cracovie en Pologne) témoignent clairement de l’effort de Mozart vers une sophistication du style musical qu’il n’avait que rarement atteint dans ses concertos précédents [...]. Ses manuscrits révèlent des couches successives de raffinement minutieux et suggèrent qu’il se consacra simultanément aux trois concertos.
Dans le cas du KV 415 par exemple, Mozart écrivit initialement dix-sept mesures d’un mouvement lent dans une métrique ternaire en do mineur mais changea d’idée et poursuivit à la place avec un Andante en fa majeur dans lequel plusieurs passages ont été révisés en ce qui concerne la notation et le déroulement harmonique.
Le Concerto en ut majeur KV 415 réclame un orchestre de dimension importante qui comprend, en plus des cordes, des hautbois, des bassons, des cors, des trompettes et des timbales. Initialement publié chez Artaria à Vienne en 1785, il a été réédité en 1802 par André et ce n’est que dans cette version que les trompettes et les timbales firent leur apparition. Il est probable que ces parties (qui n’apparaissent pas dans la partition autographe) ont été initialement fournies sur des feuillets manuscrits distincts auxquels André avait eu accès (peut-être grâce à Constanze Mozart), contrairement à Artaria.
L’empereur Joseph II assista à la première exécution attestée du 23 mars 1783 et Mozart a sans doute cherché à laisser une impression spectaculaire. On peut croire que les parties de trompettes et de timbales étaient «complémentaires» et qu’elles furent composées pour cette occasion.
Un aspect de la dimension imposante et cérémonieuse du concerto est suggéré dès l’ouverture par les entrées fuguées successives des cordes qui établissent le territoire dans la nuance piano suivi d’une intensification inexorable jusqu’au premier tutti de la dixième mesure. En termes de conception, cette ouverture orchestrale n’est pas sans rappeler celle du KV 271 (le concerto pour piano de Mozart le plus imposant jusqu’ici, composé à Salzbourg quelque six ans auparavant). Elle déploie un large éventail de traits contrastés qui pourraient être considérés comme les „dramatis personae“ d’une pièce de théâtre ou d’un opéra, chacun caractérisé individuellement. Le contrôle du rythme des événements est également opératique: à la mesure vingt-quatre, Mozart introduit une pédale prolongée et étouffée dans la nuance piano et donne une base solide au changement d’accords sous les gazouillis évoqués par les cordes d’une telle manière que l’entrée du rythme pointé militaire forte de la mesure trente-six procure une sensation de soulagement dramatique, voire d’évasion du confinement précédent. Le timing et le sens de la proportion de cette ritournelle d’ouverture sont admirables et constituent un avant-goût de certains des grands chefs-d’oeuvre de l’opera buffa qui suivront dans les années à venir.
L’écriture pour piano de Mozart est [...] virtuose et techniquement exigeante et inclut de longs passages spectaculaires qui réclament la plus grande dextérité de l’exécutant et de l’instrument. Le passage solo au centre du premier mouvement notamment démontre à quel point la relation entre le développement de la technologie instrumentale du pianoforte viennois et l’imagination créatrice de Mozart étaient étroitement liés. Avec sa sonorité étincelante et claire et le mécanisme nuancé des marteaux sensibles aux plus subtiles varia tions du toucher, les pianos comme ceux d’Anton Walter (dont Mozart possédait un instrument au moment de la composition du KV 415) ont ouvert de nombreuses possibilités et ont permis de juxtaposer différentes textures de manière radicale, des motifs harmoniques et des registres en succession étroite sans jamais craindre pour leur clarté. Sans une telle technologie (qui permet une attaque immédiate du son avec une extinction toute aussi immédiate, permettant ainsi une clarté dans la texture), des accords pleins se déplaçant rapidement à travers les progressions chromatiques complexes, comme dans l’ouverture de ce solo, ne pourraient être perçus de manière adéquate. Ils ne pourraient pas non plus se dissoudre efficacement dans l’entrelac de doubles croches qui s’élancent à travers les registres d’octave. Il s’agit pourtant précisément de la stratégie expressive de Mozart qui, sur un piano viennois, fonctionne souverainement. [...]" d'après le livret BIS référencié plus haut.
L'interprétation de Clara HASKIL proposée sur cette page devrait provenir d'un concert donné le 30 mars 1953, Ferenc FRICSAY dirigeant l'Orchestre Symphonique de la RIAS. D'après la discographie Tahra établie par René Trémine et commentée par Jérome Spycket, l'authenticité de l'enregistrement n'est certes pas mise en doute, mais en ce qui concerne ce 30 mars "[...] il ne semble pas qu'elle ait été à Berlin ce jour-là, alors que le 28 elle jouait le Mozart K.466 à Burgdorf avec Eugen Huber. Il pourrait s'agir d'une erreur, cet enregistrement ne figurant pas davantage dans les archives du RIAS Berlin et Clara Haskil n'ayant joué ce concerto que lors d'une série de concerts en Suisse entre le 25 mars et le 1er avril 1957 - avant de l’enregistrer en 1960 pour DGG. [...]"
Wolfgang Amadeus Mozart, Concerto pour piano no 13 en ut majeur, KV 415 (387b), Clara Haskil, Orchestre Symphonique de la RIAS, Ferenc Fricsay, 30 mars 1953