Émile Jaques-Dalcroze composa ses variations sur le chant populaire de Hans Georg Nägeli «La Suisse est belle» pour l'une de ses causeries, donnée le 26 décembre 1895:
Cité du programme publié sur cette page du site ONSTAGE, collection du Conservatoire de Genève
Un extrait du compte-rendu publié dans le Journal de Genève du dimanche suivant, signé „H.“:
"[...] M. Jaques-Dalcroze a terminé jeudi la première série de ses conférences sur la musique et les musiciens par une captivante causerie sur l'orchestration. Il avait engagé à cet effet l'orchestre du théâtre, ce qui lui a permis de donner une très claire démonstration de tous les effets de timbre, de toutes les combinaisons instrumentales connues et même inconnues. [...]
La séance s'est terminées par des variations composées exprès par M. Jaques-Dalcroze sur la mélodie populaire «La Suisse est belle». Ces variations écrites avec une entente consommée de tous les effets de timbre et offrant une plaisante variété de rythmes et d'allures, ont servi de brillante conclusion à ces conférences. À signaler comme tout à fait remarquable l'exemple imaginé par M. Jaques-Dalcroze pour montrer l'effet de contrepoint d'une mélodie sur un fragment orchestral d'un tout autre caractère. Il a confié pour cela le motif populaire en question à la trompette vibrante de M. Renard, le greffant sur un thème de cordes à la Grieg et à la Wagner harmonisé avec un art infini. Aussi lorsque la dernière variation a été achevée (un tutti formidable, avec déchainement de tous les cuivres et des batteries), l'auditoire enchanté a fait au conférencier une véritable ovation. Cette pratique démonstration de l'orchestre et de ses ressources n'avait jusqu'ici jamais été tentée et nous devons à M. Jaques-Dalcroze les plus vifs remerciements pour les heures attrayantes et instructives qu'il nous a fait passer. [...]"
La première audition proprement dite fut donnée trois ans plus tard, le 19 mars 1898, l'orchestre des concerts d'abonnement étant dirigé par Willy REHBERG:
Cité du programme publié sur cette page du site ONSTAGE, collection du Conservatoire de Genève
La courte description publiée dans le programme de ce concert:
"[...] La Suisse est belle!
Treize petites variations orchestrales, par Jaques-Dalcroze
Au lieu de placer l'intérêt des variations dans les changements d’harmonisation du thème, ainsi que dans ses transformations rythmiques, M. Jaques-Dalcroze a cherché à le provoquer par des nuances d'orchestration. Chacune des variations sur la Suisse est belle est instrumentée d'une façon spéciale, tendant à faire ressortir tel timbre ou telle combinaison de timbres. Évidemment le thème subit aussi des altérations et transformations harmoniques et rythmiques, mais l'objet de celles-ci est toujours une recherche de coloration orchestrale.
À signaler les oppositions de cordes et de bois dans la variation I à cinq temps; le contrepoint de trompette par le quatuor dans la IVe ; les effets de bois dans le grave de la VIe; l'amusante fanfare de la Xe et le nocture de la XIIe avec son accompagnement de harpe et de cloche.
Dans la dernière variation (Marche philistine), le thème prend une forme pompeusement vulgaire et son orchestration éclatante, pleine de clichés théâtraux, met en action le vieil adage: «Beaucoup de bruit pour rien».[...]"
Publié dans le Journal de Genève du 26 mars suivant, au bas de la 2e page, un court compte-rendu signé „H.“:
"[...] Pour cette dernière soirée, le comité avait tenu à faire une place importante à la musique suisse, dont nous avons eu deux spécimens d'une réelle valeur. On se souvient des remarquables conférences sur les timbres de l'orchestre, données il y a quelques années au Conservatoire par M. Jaques-Dalcroze. Il y étudiait de la manière la plus attrayante les divers groupes d'instruments de l'orchestre, les présentant tour à tour et faisant de leurs timbres et de leur emploi la démonstration la plus intéressante. Chaque instrumentiste y allait successivement de son petit morceau, écrit ad hoc par le conférencier, et vers ia fin nous eûmes une spirituelle adaptation en variations du thème populaire La Suisse est belle pour les divers instruments réunis.
C'est ce même thème que M. Jaques-Dalcroze a repris pour ses Treize petites variations orchestrales exécutées samedi. Elles sont très artistiques et soignées, ces variations écrites pour faire ressortir les timbres et leurs diverses combinaisons plutôt que dans un but de développement symphonique ou de travail thématique. Toutes les colorations orchestrale possibles passent tour à tour à l'orchestre et l'auditeur s'instruit tout en se régalant des jolies sonorités que le musicien lui fait entendre. Nous ne saurions analyser ici ces treize variations qui forment un tout considérable et pourraient être un peu réduites sans inconvénient. La plus réussie est la quatrième, allegro con mistero, où le thème populaire se transforme en une ravissante cantilène pour trompette jouée pianissimo, sur un contrepoint de cordes finement harmonisé et d'un tour mélodique heureux. Celle jolie page pourrait très bien se détacher du reste et être jouée seule dans les concerts; elle rendrait de précieux services sur les programmes pour la seconde partie où l'on est souvent à court de petites pièces douces et reposantes. À signaler encore la deuxième variation, en canon; la sixième où les notes graves des bois sont habilement mises en relief; le papillotant scherzando à la Gouvy de la huitième et les plaisantes sonorités de la variation consacrée aux cuivres.
Dans la Marche, philistine de la fin, l'auteur ne résiste pas à la tentation de faire une bonne farce et il nous sert toutes les redondances et tout le poncif fracas des marches militaires, évoquant les pompeux cortèges d'inaugurations, d'expositions et de promotions passées. Le portrait est ressemblant, mais il y manque quelques truculences à la Chabrier et il jure un peu avec la finesse du reste. Ces Variations sont une nouvelle preuve de l'habileté de main et de l'ingéniosité instrumentale de notre compositeur genevois. [...]"
La banque de données de la Phonothèque Suisse fait mention de deux enregistrements de cette oeuvre, l'un sous la direction d'Edmond APPIA - Orchestre de la Suisse Romande, 8 juillet 1948, DAT 1513 -, l'autre sous la direction d'ADRIANO. L'enregistrement d'Edmond Appia ne peut être écouté que dans les places d'écoute des diverses succursales de la Phonothèque Suisse, celui d'Adriano est par contre disponible en écoute sur une page de YOUTUBE.
Émile JAQUES-DALCROZE, 13 petites variations sur «La Suisse est belle» (1895), Moscow Symphony Orchestra, ADRIANO, août 2003
À noter que ces minutages sont ceux du CD et peuvent légèrement différer de la version écoutée sur Youtube! Ils permettent toutefois de bien se repérer dans l'oeuvre.
Pourquoi enregistré avec ce «Moscow Symphony Orchestra»?! Adriano donne une réponse sur cette page de son site.
Le chant populaire de Hans Georg Nägeli «La Suisse est belle» peut être écouté sur une amusante page de YOUTUBE publiée en mars 2020, en pleine crise de la pandémie Corona...