Johannes BRAHMS
Concerto pour violon et violoncelle op. 102
Adolf BUSCH, violon, Hermann BUSCH, violoncelle
Orchestre National de la RadioDiffusion Francaise
Paul KLETZKI
21 juin 1949, Palais des Fêtes, Strasbourg
Johannes Brahms composa cette oeuvre en 1887. Bien que les concertos pour plusieurs solistes soient assez nombreux, cette combinaison particulière violon et violoncelle était rare au XIXe siècle. Il s'agit de la dernière oeuvre symphonique du musicien, postérieure de deux ans de sa quatrième et dernière symphonie.
La première audition publique fut donnée le 18 octobre 1887 dans la salle du «Gürzenich» de Cologne, avec comme solistes les deux dédicataires de l'oeuvre - Joseph Joachim et Robert Hausmann (le violoncelliste du Quatuor Joachim depuis 1879), l'orchestre étant dirigé par le compositeur (une audition privée avait été donnée le 23 septembre précédent à Baden-Baden, avec les mêmes interprètes)
À noter que ce concerto utilise le motif „A-E-F“ - la, mi, fa - dans la première entrée du violon après l’exposition tutti, une permutation de „F-A-E“ - fa, la, mi - la maxime bien connue de Joseph Joachim «Frei Aber Einsam», „libre mais seul“: une trentaine d'années auparavant, en 1853, Brahms avait participé à la composition de la sonate „F-A-E“ dédiée à Joseph Joachim. Brahms a certainement voulu ainsi souligner la dédicace de l'oeuvre, qui fut en même temps l’occasion d’une réconciliation entre Brahms et Joachim - une brouille sans gravité s’étant produite peu auparavant.
La conception de l'oeuvre est proche de celle d’un trio avec piano développé, où l’orchestre prend la place du piano:
"[...] il existe des liens expressifs étroits entre le Double Concerto et le Trio avec piano en ut mineur, op. 101, de Brahms, achevé l’été précédent. Mais, dans le concerto, les quatre mouvements concis du trio se sont transformés en un plan tripartite dominé par un large mouvement initial. Celui-ci n’a pas simplement un profil symphonique, mais il est enrichi d’une brillante introduction de style rhapsodique en forme de cadence, confiée au violoncelle et au violon, séparément et ensemble, dans des solos de bravoure marqués, ce qui est significatif, in modo d’un recitativo, avant le tutti orchestral motivé et passionné.
Le romantisme inné du Double Concerto vient de la nature des instruments eux-mêmes. Dans cette oeuvre, Brahms étend à toute la conception une série d’analogies avec la musique vocale, qu’il avait ébauchée dans les mouvements lents de ces concertos précédents. Traités en solistes égaux, les deux instruments à cordes, si semblables par leur construction et si différents de caractère, suggèrent inévitablement un dialogue – et un dialogue entre un homme et une femme. Le violon est une femme parfois assurée et le violoncelle un homme parfois malléable et rêveur, mais les polarités fondamentales se trouvent dans leur sonorité. La notion même de dialogue entre deux solistes et de réel duo suggère des parallèles lyriques. L’idée de traiter un soliste de concerto comme un personnage d’opéra remonte au moins à la Gesangszene pour violon et orchestre, op. 47, de Spohr (1816), mais en utilisant deux instruments de tessiture et de sonorité contrastées Brahms a beaucoup augmenté le potentiel dramatique. Il donne aux formulations du violoncelle et du violon quelque chose issu de la polarité sexuelle du héros baryton/ténor et de l’héroïne soprano.[...]" Citation extraite d'un texte de Calum MacDonald (Traduction: Marie-Stella Pâris) publié en 2010 dans le livret du CD CHAN 10564 de Chandos.
Dans l'Allegro: "[...] quatre mesures d’orchestre font entendre le début du thème principal. Aussitôt après, le violoncelle exécute une cadence parsemée de larges accords. Une courte intervention des vents expose une mélodie simple et lyrique, qui sera le motif contrastant. C’est ensuite l’entrée du violon, bientôt rejoint par le violoncelle; les deux solistes exécutent un duo qu’ils terminent sur un long trait d’octave. Alors seulement a lieu l’exposition orchestrale dans son intégralité.[...]" (Guide de la musique symphonique, François-René Tranchefort, éd. Fayard)
Ce premier mouvement "[...] réalise peut-être la fusion la plus parfaite entre le dynamisme symphonique et l’ardeur lyrique de Brahms, dans une conception qui allie la liberté rhapsodique d’expression (comme dans les cadences de l’introduction, où le violoncelle et le violon préfigurent respectivement le premier et le second sujet) et une forme sonate tendue et très forte, riche en thèmes étroitement liés et pleins de caractère. Parmi ses idées les plus mémorables figure un thème rythmé, vigoureux et implacable, qui est un exemple notable de la passion que portait Brahms aux syncopes et aux fortes dissonances. Mais il y a un exemple encore plus frappant de son pouvoir de développement thématique, c’est la manière dont Brahms le transforme complètement, juste avant la réexposition, en un passage d’une tendresse infinie et mystérieuse – et une troisième version de ce thème, fervente et sonore, déclenche la coda dramatique.[...]"
L'Andante est introduit "[...] par deux mesures dont les appels en quartes ascendantes soulignent les premières notes du thème principal. Serein en ré majeur, il présente une construction relativement simple, une forme ternaire dont la splendide mélodie principale est jouée par les solistes en octaves et dont le second motif s’avère être le renversement (inexact) de cette mélodie. La section centrale est construite sur un thème grave et radieux en fa majeur comparable à un choral et confié aux bois, que les solistes décorent dans leur délicieux mode de conversation. Ici, l’impression d’un duo d’amour domine particulièrement et Verdi lui-même aurait difficilement pu construire un sommet vocal plus élancé que celui qu’offre Brahms à ses solistes en intensifiant l’effet d’octaves du violon depuis la réapparition de la figure de quarte ascendante. Le principal thème lyrique revient, étendu, et la seconde section est rappelée dans une rayonnante coda, avec des quartes élancées et tout le reste.[...]"
Le Finale Vivace non troppo est "[...] un rondo hongrois avec des éléments de sonate, sur un sujet drôle, mais élégant que Brahms traite avec humour, une rhétorique passionnée, une solennité occasionnelle et un élan rythmique mesuré, mais irrésistible. Il est tout d’abord énoncé par le violoncelle, qui avance aussi le second sujet majestueux et ascendant en doubles cordes sonores. Le retour du rondo tourne court avec esprit, et un thème passionné vaguement en ré mineur, contrastant avec des rythmes pointés abrupts et des triolets, traverse le cours de la musique. C’est la première partie d’un long épisode, lui même de forme ternaire. En son centre, survient un thème plus calme en fa majeur sur un rythme nettement syncopé; lorsque les solistes le reprennent avec plus de vigueur, il apparaît comme une allusion évidente au thème syncopé du premier mouvement, renforçant ainsi l’unité organique de l’oeuvre dans son ensemble. Le thème en rythme pointé revient, ramenant à la mélodie du rondo et au second sujet, qui apparaît maintenant en la majeur – et la musique reste dans le mode majeur d’un bout à l’autre de la coda. Celle-ci commence par une forme plus lente du sujet du rondo, décoré par les solistes dans un dialogue de roulades paradisiaques, avant un retour triomphal du Tempo primo pour les dernières mesures.[...]" cité des notes de Calum MacDonald (Traduction: Marie-Stella Pâris) référenciées plus haut.
Paul KLETZKI, un portrait réalisé par Claude POIRIER
➣ Franz Liszt, Méphisto-Valse
➣ Johannes Brahms, Double Concerto
➣ Robert Schumann, Quatrième Symphonie
Avec ce Concerto pour violon et violoncelle en la mineur, op. 102, de Johannes BRAHMS se terminait la première partie du concert. Les solistes étaient Adolf BUSCH, violon, et Hermann BUSCH, violoncelle: