Felix MENDELSSOHN «Les Hébrides», ou «La Grotte de Fingal»
Ouverture pour orchestre en si mineur, op. 26
Orchestre de la Suisse Romande
Paul KLETZKI
11 décembre 1968, Maison de la Radio, Genève
Pour le titre de cette oeuvre composée pendant l'été 1829 et achevée en décembre 1830, à Rome - sa troisième ouverture de concert, toutefois la première publiée - Felix Mendelssohn hésita longtemps: il l'a plusieurs fois revisée, chaque version se traduisant par un changement de titre - «Ouvertüre zur einsamen Insel» (Ouverture de l’île solitaire), «Les Hébrides» lors de la 2e version en 1932 à Paris, pour la première exécution anglaise la même année «The Isles of Fingal» et, enfin, «Fingals Höhle» (Grotte de Fingal), titre sous lequel elle fut publiée en 1835, mais qui lui fut donné par Hector Berlioz.
À propos des Hébrides, scène esquissée par Felix Mendelssohn dans une lettre à sa soeur Fanny du 1er août 1829 (l'original se trouve à la «Music Division of the New York Public Library for the Performing Arts»)
Le 22 juillet 1829 Felix Mendelssohn quitta Londres pour ce voyage en Écosse avec son ami le poête Karl Klingemann, ayant l'intention d'étudier les chants populaires de la région. Le 7 août, Mendelssohn visite Dunollie Castle (XIIIe siècle), bastion des MacDougalls. Les ruines du château, bâti sur un promontoire, donnent sur Mull et sur certaines îles des Hébrides voisines. L'oeuvre évoque le paysage romantique qui séduisit le jeune compositeur au large des côtes écossaises et plus précisément de l’île de Staffa avec la Grotte de Fingal:
Fingal's Cave, Island of Staffa, Scotland, between 1890 and 1905, Original image: Photochrom print (color photo lithograph), Reproduction number: LC-DIG-ppmsc-07617 from Library of Congress, Prints and Photographs Division, PhotochromPrints Collection, correction couleurs par Jan Arkesteijn)
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"[...] Plus tard ce jour-là, Mendelssohn prit avec Klingemann un vapeur pour Tobermory, un village de pêcheurs sur la côte nord de Mull; le soir, il rassembla ses impressions dans une nouvelle lettre pour Berlin: «Pour vous faire comprendre dans quel état d’esprit singulier les Hébrides m’ont disposé, voici ce qu’elles m’ont inspiré» - en l’occurence, une ébauche, sous forme de partition pianistique mais avec des indications orchestrales détaillées, du début de l’ouverture Les Hébrides, dite aussi Ouverture de la Grotte de Fingal, dans sa forme presque achevée, où le familier motif de basse berceur est transposé séquentiellement dans un modèle ascendant, avec des accords de vents tenus, au soprano. En traduisant en images sonores les souvenirs visuels de ce jour-là, Mendelssohn s’autorisa un peu de synesthésie, si bien que la vision se mua en une peinture sonore romantique, aux nuances subtiles.
Notons cependant que l’inspiration musicale de cette ouverture lui vint d’abord non de sa célèbre visite à Fingal’s Cave (sur la minuscule île de Staffa balayée par les vents, à une dizaine de kilomètres à l’ouest de Mull) mais des impressions visuelles éprouvées à Oban. La visite à Fingal’s Cave eut lieu le lendemain, le 8 août. La mer était calme - assez, du moins, pour que les touristes pussent débarquer et grimper jusqu’à la grotte, mais pas assez pour que Mendelssohn pût noter d’autres impressions musicales ou aller au sommet de l’île, comme l’avait fait le poète Keats en 1818. Pris de nausées, Mendelssohn dut s’en remettre à Klingemann, qui envoya cette description à Berlin: «Staffa, avec ses drôles de colonnes de basalte et ses grottes, figure dans tous les livres d’images; on nous a mis dans des bateaux et la mer stridente nous a hissés sur les chicots des colonnes jusqu’à la fameuse grotte de Fingal. Jamais vacarme de lames plus vert ne se fracassa dans une grotte plus étrange - ses nombreuses colonnes la faisaient ressembler à l’intérieur d’un orgue monstrueux, noir, retentissant, sans utilité aucune et tout seul, avec la vaste mer grise au-dedans et au-devant.» [...]le thème du morceau dont il avait écrit les vingt-et-une premières mesures sur place. Le thème si fluide de l’introduction évoque avec une originalité extraordinaire les embruns et les reflets des parois de la grotte. [...]" R. Larry Todd, cité des notes rédigées en 2012 pour Hyperion
En 1830, à Rome, il joua au piano la première version de l’ouverture devant Berlioz, qui s’enthousiasma pour cette pièce. À Paris, en janvier 1832, Mendelssohn en rédigea une seconde version, qui reçut le titre «Les Hébrides» - le sous-titre «La Grotte de Fingal» fut ajouté plus tard par Berlioz. Le 14 mai suivant, Felix Mendelssohn en dirigea la première audition à la tête de l’Orchestre philharmonique de Londres.
Felix Mendelssohn, reproduction d'un tableau d'Horace Vernet (1789-1863). Date d'édition: 1911. 1 impression photomécanique 20 x 15,5 cm. Droits: domaine public. Identifiant: ark:/12148/btv1b84225303. Source: Bibliothèque nationale de France. Notice de recueil. Notice du catalogue (cliquer sur la photo pour une vue agrandie, cliquer EN DEHORS de la vue agrandie pour la fermer)
Brigitte François-Sappey - «Felix Mendelssohn, la lumière de son temps» ed. Fayard, 2008 - sur cette ouverture:
"[...] Berlioz en 1843 se pâme sur «ce délicat et fin tissu musical, diapré de si riches couleurs», Brahms en 1874 donnerait «toutes ses oeuvres pour être capable d'en composer une seule comparable à l'Ouverture Les Hébrides», et Wagner en 1879 l'estime encore «magnifique et magistrale».
Le secret réside dans l'idéale fusion entre un souple mais ferme déroulement musical et une orchestration magique au service d'un argument uniquement sonore constitué de l'effet de ressac aquatique et des résonances acoustiques dans les grottes basaltiques de l'Île de Staffa. Dans sa synesthésie vision et ouïe, aucune partition romantique n'anticipe à ce point sur l'impressionnisme orchestral de La Mer de Debussy, chez qui grotte et mer seront des motifs récurrents. Mendelssohn connaissait les poèmes épiques de Macpherson (1761), attribués a Ossian le barde gaélique, fils de Fingal, qui ont nourri le préromantisme allemand depuis Herder et Bürger, mais il ne charge son ouverture d'aucun prétexte littéraire. Le 7 août 1829, il envoie à sa famille un simple motif «pour vous rendre sensible l’état étrange dans lequel je me suis senti aux Hébrides», et croque pour lui-même un dessin intitulé Ein Blick auf die Hebriden afin de fixer son impression visuelle sur le vif. [...]
Dans une libre forme sonate en si mineur, le motif générateur d'arpège brodé descendant s'énonce aux instruments médium-grave, à l'intérieur des basses et des tenues aiguës des bois qui reproduisent la résonance spatialisée de la voûte. L'exposition culmine en une fanfare pointée, puis la récapitulation introduit un délicat motif scherzando pré-mahlérien. À la dissolution de la marine musicale, il reste à s'extasier sur les cinq ultimes mesures en fines couches de timbres et de nuances: de la belle ouvrage.[...]" cité de «Felix Mendelssohn, la lumière de son temps» Brigitte François-Sappey (ed. Fayard, 2008).
Nous retrouvons ici Paul KLETZKI dans un enregistrement datant du 11 décembre 1968. Au programme de ce concert donné à la Maison de la Radio à Genève:
➤ Felix Mendelssohn, Les Hébrides
➤ Wolfgang Amadeus Mozart, Symphonie No 39, en mi bémol, KV 543
➤ Robert Schumann, Concerto en ré mineur pour violon et orchestre
Koji Toyoda en soliste
➤ Richard Wagner, Prélude et mort d'Yseult
Voici donc...
Felix Mendelssohn, Les Hébrides, Ouverture pour orchestre en si mineur, op. 26 (MWV P 7), Orchestre de la Suisse Romande, Paul Kletzki, 11 décembre 1968, Maison de la Radio, Genève (Allegro moderato 09:33)
Provenance: Radiodiffusion, archives de la RSR resp. RTSR