Cette suite de danses d'après Couperin a son origine dans le désir de l'Opéra d'État de Vienne d'avoir une oeuvre qui donnerait l'éclat nécessaire à une soirée de ballet devant se dérouler dans la «Redoutensaal» du Palais Impérial, qu'il avait acquis au début des années 1920. C'est à Richard STRAUSS, directeur de l'Opéra d'État de 1919 à 1924, que revint la tâche de fournir la musique. Le compositeur décida de faire de ce ballet un hommage à l'esprit de délicatesse, de charme et d'élégance français incarné par le plus célèbre des clavecinistes, François COUPERIN. Il termina l'oeuvre le 6 janvier 1923, elle fut donnée en première audition le 17 février suivant sous la direction de Clemens KRAUSS.
Sur cette oeuvre, traduit de l'excellente documentation publiée en anglais au verso de la pochette de ce disque Lyrichord LL 58:
«« La vie et l'oeuvre de François Couperin sont inextricablement liées au règne du Roi Soleil, de Louis XIV et de sa cour à Versailles, pendant l'âge d'or de la France. La musique de Couperin est l'expression pure du rococo français, et tout ce que la musique française pouvait donner de sensations tendres peut être entendu dans les oeuvres que Couperin a composé pour les divertissements royaux à Versailles. Pourtant, Couperin est resté parisien toute sa vie et ne se rendait à Versailles que les week-ends. Les quatre volumes des „Pièces de Clavecin“ furent publiés à Paris entre 1713 et 1730. Ils contiennent, outre les danses traditionnelles, des pièces programmatiques et des pièces de caractère, de courtes pièces avec des titres, esquissant un événement particulier ou un personnage d'une curiosité momentanée. Ces chefs-d'oeuvre miniatures pour clavier jetérent les bases du patrimoine pianistique français et nourrirent le style de compositeurs ultérieurs, et même de Debussy et Ravel.
Nous ne savons pas si c'est un hasard qui a conduit le maître allemand de la „grande forme“, âgé de 60 ans, à feuilleter les oeuvres pour clavier de Couperin. Plus vraisemblablement, c'est le contraste même des formes qui a attiré Strauss vers le style miniature français. Quoi qu'il en soit, nous savons qu'en 1915, Strauss se sentait également attiré par la musique de Lully, le créateur de l'opéra français, et qu'il a incorporé une grande partie de sa musique et de son style dans sa suite orchestrale pour „Le Bourgeois Gentilhomme“ de Molière.
L'intérêt apparemment profond et sincère pour la musique française ancienne que Richard Strauss ressentit à une certaine époque de sa vie apparaît à nouveau dans la présente „Suite de danses sur des pièces de Couperin“ qu'il composa en 1923. Beaucoup moins richement orchestrée que l'oeuvre précédente, cette petite suite pourrait presque être de la pure musique orchestrale du XVIIIe siècle, très proche de ce que Couperin lui-même aurait pu produire, s'il avait écrit ces pièces pour un petit ensemble orchestral au lieu d'un clavecin solo. L'admirable retenue dont il fait preuve tout au long de l'oeuvre est un véritable tour de force d'autodiscipline, en particulier sous la plume d'un compositeur si riche lorsqu'il écrit dans son propre idiome. Il ne s'agit pas d'un simple coup de rouge et de poudre sur un masque mort depuis longtemps; beaucoup d'amour et de compréhension furent nécessaires pour faire revivre les magnifiques originaux de Couperin sous un habillage légèrement différent.
Destinées à l'origine à être dansées comme un ballet, toutes les pièces de cette suite furetn transcrites par Strauss littéralement et exactement à partir des versions de Couperin pour clavecin seul. La partition est pour un petit orchestre composé de doubles bois, 2 cors, trompette, trombone, célesta, harpe, carillon, quintette à cordes (7 violons) et clavecin. Le clavecin est rarement appelé à jouer le rôle d'accompagnateur de la basse continue, mais il est plutôt utilisé pour renforcer les différentes parties jouées par les instruments de l'orchestre. Les cordes forment la base, le corps global du son, tandis que les bois et les cuivres sont introduits principalement pour colorer et renforcer la ligne, ce qui donne une impression résolument pré-classique: Strauss minimisa délibérément l'idée d'utiliser l'individualité des timbres des différents instruments uniquement pour des raisons de couleur. Néanmoins, la suite est loin de manquer de sonorités intéressantes et originales.
La première chose qui frappe l'auditeur dans l'orchestration de Strauss est l'extrême prudence, la délicatesse et la retenue dont il fait preuve dans sa représentation fidèle des originaux. Ce n'est que dans deux Codas interpolées et assez longues, où il prend soin d'utiliser plus ou moins le matériel thématique du mouvement précédent (à la fin du Carillon de Cythère et du Turbulent), qu'il s'écarte d'une adhésion étonnamment stricte à l'instrumentation baroque authentique et au traitement du timbre de l'orchestre.
Pour sa Suite, Strauss choisissa un excellent échantillon de pièces représentatives des quatre volumes d'oeuvres pour clavecin de Couperin.
➣ la „Pavane“ (en réalité une „Allemande Grave“), noble et majestueuse, rappelle la populaire Ouverture à la Française si solidement établie par Lully et ses disciples.
➣ la „Courante“, construite principalement sur une figure rapide (d'où le titre de la danse), est l'un des meilleurs exemples de cette forme chez Couperin.
➣ le „Carillon de Cythère“ est presque trop connu pour qu'il soit nécessaire de le décrire: le doux son de cloche, d'abord entendu par le célesta solo, puis renforcé par le clavecin et d'autres instruments, évoque tout le charme mélancolique et les couleurs pastorales du célèbre tableau de Watteau intitulé „L'embarquement pour Cythère“.
➣ la lente et sensuelle „Sarabande“ brille d'une couleur riche et passionnée; c'est un contrepoint parfaitement choisi pour la pièce qui précède et celle qui suit. »»
➣ le „Tourbillon“ composé d'après le „Turbulent“ de Couperin, "[...] aux textures et au tempo virtuoses (l’indication est «très viste»), est remarquable pour son changement de métrique, du 2/4 de la première partie au 3/8 de la seconde, comme pour représenter un personnage excité et turbulent qui n’arrive même pas à maintenir la même mesure! [...]" Adélaïde de Place
➣ «« l'„Allemande“ et la „Gavotte“ sont tout à fait typiques de l'écriture de Couperin dans ces formes: elles sont aussi françaises que possible du XVIIIe siècle.
➣ la suite s'achève par une „Marche“ vive et pimpante, jouée comme indiqué dans l'original: „Gaiement“. »»
Dans cet enregistrement, Erich KLOSS dirige un orchestre nommé «Frankenland State Symphony Orchestra of Nuremberg»: il s'agit de l'actuel Orchestre symphonique de Nuremberg («Nürnberger Symphoniker»). L'orchestre fut créé à Nuremberg peu après la Seconde Guerre mondiale, le 1er juin 1946, sous le nom de «Fränkisches Landesorchester» (Orchestre d'État de Franconie), d'où ce nom de «Frankenland State Symphony Orchestra of Nuremberg». Il reçut son nom actuel en 1963 à l'occasion de l'inauguration de la Meistersingerhalle, le palais des congrès et de la culture de la ville de Nuremberg. Dans les années 1950...1960, cet orchestre s'est fait avant tout remarquer par ses enregistrements de musique de films. Erich Kloss en fut son chef titulaire de 1949 à son décès, en 1967.
Richard Strauss, Suite de danses sur des pièces de Couperin, TrV 245, AV 107, Orchestre d'État de Franconie, Erich Kloss, 1953