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La magnifique interprétation de cette oeuvre proposée ici provient d'un concert donné le 27 août 1947 à Lucerne, lors des Semaines Musicales Internationales. L'orchestre du festival était placé sous la direction de Wilhelm FURTWÄNGLER. Le concert fut retransmis en direct sur l'émetteur de Sottens:
Début janvier 1947, Wilhelm Furtwängler s’était établi avec sa famille à Clarens, afin de se reposer. 1945 et 1946 avaient été pour lui deux années très éprouvantes: il avait certes été assez rapidement acquitté par le tribunal de dénazification, en décembre 1946, mais ce n'est qu'en avril 1947 que le commandement interallié de Berlin homologua enfin sa dénazification - Wilhelm Furtwängler pouvait donc à nouveau diriger librement de par le monde.
Cité d’un entretien avec Henri Jaton publié dans la Nouvelle Revue de Lausanne du 27 août 1947, en page 6:
La répétition s'achève...; l'illustre chef se mêle au groupe des instrumentistes et des auditeurs. Et le grand artiste qui sait imposer sa volonté triomphante aux ensembles les plus fameux, nous apparaît d'une simplicité et d'une amabilité sans égales…
— Nous aurons la joie de vous voir en Suisse romande, je crois?
— Peut-être; si l'on peut s'entendre sur une question de dates, car l'horaire de mon hiver est très chargé.
— Beaucoup de concerts à l'étranger, sans doute?
— Oui, je dirigerai en France, en Hollande, en Angleterre, en Amérique du Sud...
— Et quels programme?
— Le répertoire classique, plus particulièrement.
— À Lucerne, vous ajouterez, parait-il, un concert au programme général?
— Oui, avec Yehudi Menuhin comme soliste, je dirigerai samedi au profit de la caisse du Syndicat des musiciens suisses.
— Au milieu de tous ces engagements, quelques loisirs?...
— ... à Clarens, où je suis fixé avec ma famille et où je me plais infiniment...
Et le souvenir de l'ambiance paisible, tranquille qu'il rencontre aux bords du Léman, amène un sourire sympathique sur ce masque, énergique, volontaire, qui, cette semaine sous l'égide de Beethoven ou de Brahms, va connaître sans doute de nouveaux triomphes.
Cité du compte-rendu d'Henri JATON publié le lundi 1er septembre 1947 dans La Nouvelle Revue de Lausanne en page 6:
"[...]
À LUCERNE - Apothéose en guise de conclusion
Il serait inexact d'user d'un autre terme pour traduire l'atmosphère triomphale qui a présidé mercredi à la conclusion officielle des Semaines musicales de Lucerne. Nous disons «officielle» car, dans un geste généreux et qui les honore grandement, le prestigieux chef Wilhelm Furtwängler et Yehudi Menuhin ont accepté de figurer au programme du concert qui sera donné ce soir au profit de la caisse du Syndicat des musiciens suisses.
Ainsi, la clôture traditionnelle eut lieu mercredi, en présence d'un auditoire considérable qui fit que pas un mètre carré du vaste Kunsthaus ne demeura inoccupé. Sans contredit, la présence de Furtwängler était pour beaucoup dans cette extraordinaire affluence, le grand artiste nous ayant donné quelques jours auparavant déjà, la mesure de ses immenses possibilités dans une interprétation grandiose du Requiem de Brahms. C'est que de plus en plus, Wilhelm Furtwängler nous apparaît comme le continuateur de cette grande lignée des princes de la baguette, Nikisch, Richter, Mahler, qui ont élevé le prestige et la fonction de chef au plus haut degré qui soit. Sans doute, le musicien allemand n'a-t-il rien d'un défricheur: sans doute son répertoire est-il relativement limité. Mais le commentaire qu'il nous en donne est d'une si rare perfection que l’oeuvre la plus connue de la littérature orchestrale nous apparaît alors revivant d’une vie nouvelle et revêtant un aspect absolument inédit.
Cette perfection nous semble relever de deux éléments essentiels: tout d'abord, la fascination que Wilhelm Furtwängler exerce sur ses instrumentistes; et plus encore peut-être, le travail méticuleux, intense qui prélude à ses exécutions. C'est à ce propos qu'une répétition dirigée par l'éminent chef offre un intérêt exceptionnel. Avec un soin minutieux, Furtwängler règle, ordonne chaque passage d'une oeuvre, prenant à part les divers compartiments voire les divers pupitres de l'orchestre, dosant la sonorité subtile d'un «pianissimo» imperceptible au même titre que l'explosion triomphante d'un «tutti». On se souviendra longtemps de l'apparition miraculeuse du premier thème de Léonore, numéro III, de Beethoven, dans laquelle les dix-huit premiers violons de l'orchestre paraissaient obéir à une seule et unique main à un seul et unique coup d'archet.
Et la qualité exceptionnelle de ce passage s'étendait tout aussi bien à l'oeuvre entière qu'à la Symphonie en do mineur de Brahms, dont Wilhelm Furtwängler fit une épopée magnifique, toute de poésie et de bravoure, qui suscita dans tout l'auditoire un enthousiasme délirant et d'innombrables rappels. C'est plus de dix fois que Furtwängler dût revenir sur scène recevoir le tribut de joie et de reconnaissance d'un public conscient malgré tout de la valeur incommensurable d'une traduction pareille.
En toute justice et galanterie, le maître de cette inoubliable soirée associa l'orchestre à son triomphe; et les excellents instrumentistes reçurent, eux aussi, un témoignage vibrant de gratitude et de satisfaction unanimes.
Ce dernier concert mit également à l'honneur un de nos pianistes suisses parmi les meilleurs: Adrien Aeschbacher, qui nous offrit une interprétation véhémente et pleine d'autorité du Premier Concerto de Beethoven. Est-il besoin d'ajouter que là encore, Wilhelm Furtwängler conduisit l'accompagnement orchestral du Concerto d'admirable manière. Et nous ne voudrions pas conclure cet ultime message lucernois sans dire à MM. Schüss et Heller notre gratitude pour leur amabilité à l'égard des envoyés de la presse et nos félicitations pour la réussite brillante d'une manifestation artistique de premier ordre, qui fait grand honneur à Lucerne et à notre pays tout entier.
[...]"
Ludwig van Beethoven, Ouverture de «Leonore» No III, Op. 72b, en ut majeur, Orchestre du Festival de Lucerne, Wilhelm Furtwängler, 27 août 1947, Kunsthaus, Lucerne