Les trois mélodies proposées sur cette page sont les 2e, 3e et 4e mélodies des „Quatre mélodies pour voix et piano“ composées par Dinu LIPATTI à Mérimont, le 21 juin 1945 (date donnée par cette page du site dédié à Dinu Lipatti). Les dédicaces: No 1 - „À ma mère”; No 2 – „À Madeleine”; No 3 – „À Marie Sarasin”; No 4 – „À Germaine de Narros”
Les textes:
1. Sensation
(Arthur Rimbaud, 1870, dans „Poésies“, Paris, Éd. du Mercure de France, 1929
Picoté par les blés, fouler l'herbe menue:
Réveur, j'en sentirai la fraîcheur à mes pieds.
Je laisserai le vent baigner ma tète nue!
Je ne parlerai pas, je ne penserai rien:
Mais l'amour infini me montera dans l'âme,
Et j'irai loin, bien loin, comme un bohémien
Par la Nature, -- heureux comme avec une femme.
2. L'Amoureuse
(Paul Éluard, 1924, dans „Mourir de ne pas mourir“, Éd. NRF, 1924)
Elle est debout sur mes paupières
Et ses cheveux sont dans les miens,
Elle a la forme de mes mains,
Elle a la couleur de mes yeux,
Elle s'engloutit dans mon ombre
Comme une pierre sur le ciel.
Elle a toujours les yeux ouverts
Et ne me laisse pas dormir.
Ses rêves en pleine lumière
Font s'évaporer les soleils
Me font rire, pleurer et rire,
Parler sans avoir rien à dire.
3. Capitale de la douleur
(Paul Éluard, „La courbe de tes yeux“, 1926, dans „Capitale de la douleur“, Paris, Éd. Gallimard, 1926)
La courbe de tes yeux fait le tour de mon coeur,
Un rond de danse et de douceur,
Auréole du temps, berceau nocturne et sûr,
Et si je ne sais plus tout ce que j'ai vécu
C'est que tes yeux ne m'ont pas toujours vu.
Feuilles de jour et mousse de rosée,
Roseaux du vent, sourires parfumés,
Ailes couvrant le monde de lumière,
Bateaux chargés du ciel et de la mer,
Chasseurs des bruits et sources des couleurs,
Parfums éclos d'une couvée d'aurores
Qui gît toujours sur la paille des astres,
Comme le jour dépend de l'innocence
Le monde entier dépend de tes yeux purs
Et tout mon sang coule dans leurs regards.
4. Les pas
(Paul Valéry, 1921, dans „Charmes“, Paris, Éd. Gallimard, 1921)
Tes pas, enfants de mon silence,
Saintement, lentement placés,
Vers le lit de ma vigilance
Procèdent muets et glacés.
Personne pure, ombre divine,
Qu'ils sont doux, tes pas retenus!
Et tous les dons que je devine
Viennent à moi sur ces pieds nus!
Si, de tes lèvres avancées,
Tu prépares, pour l'apaiser,
À l'habitant de mes pensées
La nourriture d'un baiser,
Ne hâte pas cet acte tendre,
Douceur d'être et de n'être pas,
Car j'ai vécu de vous attendre,
Et mon coeur n'était que vos pas.
Le 29 mai 1947, les 2e, 3e et 4e mélodies furent enregistrées en studio par Radio-Genève - peu après un concert donné au Conservatoire de Genève:
Lorsque, et tel fut le cas hier soir au Conservatoire grâce à M. Hugues Cuénod et à Mme Madeleine Cantacuzène. deux artistes parviennent à exprimer aussi exactement la pensée des auteurs auxquels ils vouent leurs soins d'interprètes, ils peuvent prétendre qu'ils accomplissent une mission et alors le «chanter c'est être» de Rilke devient une réalité.
Connaissant exactement les limites de ses possibilités vocales, M. Cuénod, en artiste cultivé qu'il est, a su choisir un programme qui lui convenait parfaitement et qui, au point de vue musical, fut aussi intéressant que beau. Autant dans des oeuvres anglaises anciennes que dans les Schubert, les Debussy, les Bach ou les quatre mélodies de Dinu Lipatti, toujours Hugues Cuénod est en harmonie avec l'esprit de l'oeuvre. Quelques moments d'une particulière beauté: «Auf dem Wasser zu singen» de Schubert, «Recueillement» et «l'Ombre des arbres» de Debussy, «Indian Queen» de Purcell et les Bach.
Avec le cycle de Lipatti la musique vocale, pauvre en mélodies, possède dorénavant quatre pièces que les chanteurs de goût ne manqueront pas d'apprécier, bien que le lyrisme de ces poèmes reste toujours quelque peu hermétique.
Mme Cantacuzène est plus qu'une accompagnatrice pour le chanteur; phrasant avec autant de goût que d'expression, elle sait, comme il convient, mettre tout son talent à la réalisation d'une entente complète avec le chanteur.
Souhaitons que ces deux musiciens de qualité rare continuent leur collaboration, pour le plaisir de tous ceux qui savent apprécier le genre intime du «Lied». D.F.O. [...]" cité du „Journal de Genève“ du 10 mai 1947 en page 6.
À noter que Madeleine Lipatti apparaît sous son nom de jeune fille - CANTACUZÈNE - car elle n'épousera Dinu Lipatti que l'année suivante, bien qu'elle était déjà liée avec lui dès le tout début des années 1940!
Voici donc...
Dinu Lipatti, Trois des quatre mélodies pour voix et piano, Hugues Cuénod, Madeleine Cantacuzène, 29 mai 1947
2. L'amoureuse (vers de Paul Eluard) 00:57 (-> 00:57)
3. Capitale de la douleur (vers de Paul Eluard) 02:17 (-> 03:14)
4. Les pas (vers de Paul Valéry) 02:51 (-> 06:05)