Bohuslav MARTINŮ
Double concerto pour 2 orchestres à cordes,
piano et timbales, H 271
Paul JACOBS, piano, Roland KOHLHOF, timbales
New York Philharmonic
Rafaël KUBELIK
Avery Fisher Hall, 12 septembre 1979
Guy Erismann sur cette oeuvre, cité de son ouvrage Martinů - un musicien à l'éveil des sources, Actes Sud, 1990, pages 175 et 176:
"[...] C'est sur l’invitation de Maja et Paul SACHER que Bohuslav Martinů composa ce Double Concerto, pour deux orchestres, piano et timbales, H 271, oeuvre magistrale qui sera presque entièrement composée dans le décor enchanteur de Schönenberg, en Suisse, non loin de Bâle. Le charme de cette contrée valait celui de Vieux-Moulin, et les Martinů gardèrent de cette nature, aussi hospitalière que le couple Sacher, un souvenir attendrissant et grave. Bohuš et Charlotte habitaient une villa ancienne aujourd’hui disparue, à l’orée de la forêt. On y entendait le concert des oiseaux et les chevreuils traversaient parfois le paysage. Maja veillait au bien-être moral et matériel de ses invités et Bohuš avait en Paul un interlocuteur sûr, discret et de bon conseil. Il connaissait le grand mécène depuis 1929, à qui il fut présenté par Conrad Beck et Tibor Harsanyi lors d’un concert de la Société des Etudes mozartiennes.
Dans d’aussi bonnes conditions, le compositeur mit un point final à son Double-Concerto qu’il dédia à son hôte et data du 29 septembre 1938, une vraie ironie du sort: plus que tout autre, un citoyen tchécoslovaque se souvient de cette date, celle des accords de Munich, aboutissement tragique d’une longue et douloureuse attente, qui sacrifièrent la Tschécoslovaquie à L'Allemagne nazie. La colonie tchèque de Paris, en majorité composée d’intellectuels et d’artistes, suivait, heure par heure, les événements et ressentait l’abandon au coeur même de sa seconde Patrie. Beneš avait bien dit non, mais depuis dix jours la pression anglofrançaise se faisait menaçante. Le 19 puis le 21 dans la nuit, la délégation diplomatique se rendant au château de Prague, transmit un ultimatum au gouvernement qui fut mis dans l’obligation de céder. Le 29 septembre, en l’absence des représentants tchécoslovaques, les négociateurs français, anglais, allemands et italiens signaient l’accord que l’on sait. Une deuxième Montagne Blanche aurait-elle eu raison du temps, du droit et des hommes? L’effacement de la Bohême coïncidait avec la fête de Saint Venceslas. Célébration silencieuse. Le saint patron ne fit pas de miracle et une fois de plus, se retira au Blaník.
Qui peut dire ce qui traverse le coeur et prévoir la réaction d’un artiste tel que Martinů? Le secret Martinů? Peut-on dire que cette dernière oeuvre, celle qui porte la date de Munich, traduit la genèse du drame qui commence? Est-ce un hasard, si le génie de l’auteur de Juliette culmine dans ce Double Concerto? Il est à la fois l'aboutissement d’un talent exceptionnel et l’aurore d’un génie. Si l'on tient vraiment à déterminer les points charnières de sa vie d’artiste, il serait juste de désigner cette oeuvre magistrale et non la date de son arrivée sur le continent américain (1941), comme la naissance de la flamboyante et ultime époque de son existence. [...]"
Dédiée «À mon cher ami Paul Sacher pour commémorer les jours tranquilles et remplis de craintes passés au Schönenberg parmi les cerfs et la menace de la guerre», l'oeuvre fut donnée en première audition à Bâle le 9 février 1940 par le dédicataire dirigeant son Orchestre de Chambre - en présence de Bohuslav MARTINŮ, qui fut très ému lors cette première audition: «Est-ce la mélodie, le rythme, la technique, les dissonances, la tonalité, l'absence de tonalité? » Non, conclut-il, «ce n'est rien de tout cela, c'est une combinaison de tout cela. Cette nouvelle musique a un effet direct et extraordinaire » citations traduites d'après le texte en langue anglaise de cette page du site martinu.cz.
Le concerto est structuré sur le modèle du concerto grosso italien du XVIIIe siècle, les trois mouvements étant notés Poco Allegro, Largo, et Allegro. La contre-position des deux ensembles à cordes offre aux chefs d'orchestre des possibilités ouvertes: de présenter la facture polyphonique pure dans une exécution de chambre nuancée ou d'accentuer l'expressivité démoniaque et le dramatique de l'oeuvre. Martinů préférait plutôt la première alternative, indiquée - lors de la première - par Paul Sacher et son orchestre.
Les mouvements extérieurs sont caractérisés par une extrême agitation, une atmosphère d'anxiété exprimée par des rythmes syncopés, tandis que son Largo - commençant sur un choral douloureux qui évolue de si mineur à si majeur - est centré sur une déclaration provocante et déclamatoire. Bohuslav Martinů expliqua la frénésie de ce concerto par la pesanteur des années précédant la Seconde Guerre mondiale: «J'ai voulu me dégager de cette oppression, me défendre par mon travail et lutter contre cette menace qui devrait tourmenter chaque artiste et chaque homme dans ses convictions les plus profondes ».
L'enregistrement qui vous en est proposé ci-dessous fut effectué en concert le 12 septembre 1979 par l'Orchestre Philharmonique de New-York placé sous la direction de Rafaël KUBELIK - avec au piano Paul JACOBS et aux timbales Roland KOHLHOF, percussionniste de l'Orchestre Philharmonique de New-York.
Comme pour toutes les oeuvres de Bohuslav MARTINŮ, je ne peux toutefois - pour le moment - vous le proposer qu'en écoute - par l'intermédiaire d'un iframe embarqué du splendide site archive.org, plus exactement de cette page - ses oeuvres ne tombant dans le domaine publique qu'en 2030.
1. Poco allegro 06:51 (-> 06:51)
2. Adagio 07:29 (-> 14:20)
3. Allegro 06:25 (-> 20:45)
Provenance: Radiodiffusion, cette page du site archive.org.