Cette oeuvre de Camille Saint-Saëns est la plus importante de ses compositions pour cor soliste. Elle peut être parfaitement considérée comme une oeuvre destinée à faire valoir les qualités du cor d'harmonie. Il est d'ailleurs fort probable qu'elle fut écrite exactement dans cet objectif, à la demande du corniste français Henri Chaussier (1854–1914). Premier Prix du Conservatoire de Paris en 1880, ce dernier menait une carrière internationale de soliste et de corniste d'orchestre et avait eu ainsi l'occasion d'expérimenter différents modèles de cors. Dans sa volonté d'allier les avantages du cor naturel et du cor à pistons, Chaussier imagina un «cor omnitonique» fabriqué vers 1886/87 par le facteur d'instruments parisien Millereau.
Camille Saint-Saëns, qui connaissait bien Henri Chaussier et lui avait déjà dédié sa Romance op. 67 parue en 1885, écrivit en novembre 1886 un article de soutien à ses nouvelles inventions où il défendait également la notation en sons réels du cor en ut. L'année suivante, il composa pour Henri Chaussier ce Morceau de Concert op. 94 pour cor avec accompagnement du piano ou de l'orchestre. Camille Saint-Saëns écrivit d'abord la version pour cor et piano avant de l'orchestrer: le manuscrit autographe de la partition de piano porte la date d'octobre 1887, alors que celui de la version pour orchestre est daté du 2 novembre 1887. Le manuscrit autographe de la partition contient déjà la dédicace à Henri Chaussier qui donna l'oeuvre en première audition le 7 février 1891 lors d'un concert de la Société Nationale à la Salle Pleyel.
À l'origine, «Fantaisie» était le titre de l'oeuvre, noté par Camille Saint-Saëns sur les pages de titre des manuscrits autographes, qu'il modifia cependant en «Morceau de concert».
"[...] Du point de vue formel, le Morceau de concert se présente sous la forme d'une suite de variations relativement libre. Après sa présentation, le thème est ornementé au cor dans deux variations à la virtuosité croissante; puis, faisant suite à une parenthèse adagio lyrique, l'orchestre s'empare brièvement du thème – cette fois en binaire – avant que l'agilité de l'interprète soit mise à l'épreuve par l'exécution d'accords brisés et de triolets à un rythme rapide.
L'une des raisons de la présence de cette forme de variations habituellement rare dans les concertos de Saint-Saëns pourrait justement résider dans sa volonté de démontrer les nouvelles possibilités virtuoses du cor de Chaussier. Tandis que dans la partie consacrée aux variations le traitement pointé du thème et son écriture transparente témoignent du goût bien connu de Saint-Saëns pour la musique baroque française des XVIIe et XVIIIe siècles (comme elle apparaît également à la même époque dans des oeuvres telles que le Septuor op. 65, la Suite pour piano op. 90 ou l'opéra historique Ascanio), la partie alla breve qui conclut la pièce évoque davantage Schumann (en particulier à partir du repère 10) dont Saint-Saëns connaissait certainement le Konzertstück für vier Hörner op. 86.
Par ailleurs, le Morceau de Concert est l'une des très rares oeuvres concertantes pour cor des XVIIIe et XIXe siècles écrite dans le mode mineur. En raison des spécificités du cor naturel et ses sons ouverts, les compositions pour cor en mode mineur ne prirent vraiment tout leur sens qu'à partir de l'introduction des pistons (même le Concertino en mi mineur op. 45 de Carl Maria von Weber module vers le ton plus usité de Mi majeur après une brève introduction en mineur). Ainsi l'utilisation par Saint-Saëns du mode mineur permet-elle de penser qu'il s'agit d'un choix visant sciemment à mettre en valeur la supériorité du «cor omnitonique».[...]"
Dans l'enregistrement proposé ici, Zdeněk MÁCAL dirige l'Orchestre Symphonique de la Radio de Cologne, avec Werner MEYENDORF en soliste, une prise de son datant de 1972: