Sergei PROKOFJEW
Suite symphonique du Fils Prodigue, Op. 46bis
Orchestre de la Suisse Romande
Ernest ANSERMET
1er, 5, 6 et 7 novembre 1966
Victoria Hall, Genève
Sergei PROKOFJEW partage avec Igor STRAWINSKY la distinction d'être, à ce jour, le plus important compositeur de musique de ballet du XXe siècle et, comme pour Strawinsky, c'est le chorégraphe Serge DIAGHILEW qui lui a donné sa première chance. En juin 1914, Prokofjew se rendit à Londres pendant la saison de Diaghilew, assista à ses productions de L'Oiseau de Feu et de Pétrouchka d'Igor Strawinsky et de Daphnis et Chloé de Maurice RAVEL, et fut ensuite présenté à l'impresario par Walter NUVEL. Impressionné par le jeu de Prokofjew dans son deuxième concerto pour piano (composé un an plus tôt), Diaghilew commanda au jeune compositeur de vingt-trois ans une partition de ballet „sur le thème d'un conte de fées russe ou de la préhistoire“.
À son retour en Russie, un mois plus tard, Prokofjew met de côté son projet d'opéra The Gambler et s'attelle à la partition de son premier ballet, Ala et Lolly. Son librettiste était le poète Serge Gorodetsky, qui élabora un scénario basé sur un mythe slave concernant la tentative de vol, par l'esprit maléfique Tchoujbog, de l'idole en bois Ala (qui personnifie les pouvoirs créatifs de la nature), et le sauvetage d'Ala par le guerrier scythe Lolly. Prokofjew travailla sur le ballet jusqu'à l'hiver 1914 et, en février 1915, il rendit visite à Diaghilew à Milan, emportant avec lui la partition de piano. Diaghilew ne fut cependant pas impressionné: l'intrigue est „artificielle et statique“, la musique „inintéressante“ et „rappelle Tcherepnin“. Il refusa de produire Ala et Lolly, mais en guise de compensation, il s'arrangea pour que Prokofjew puisse donner un concert de sa propre musique à Rome, et l'invita à composer un autre ballet - ce qui donna Chout (ou L'histoire d'un bouffon), Op.21.
Deux autres ballets - Trapèze (1924; non publié, mais incorporé dans le Quintette pour piano et vents, Op.39) et Le Pas d'Acier, Op.41 (1925-7) - suivirent la production de Chout à Paris en 1921; puis, en 1928, Prokofjew entreprit la quatrième et dernière des commandes de Diaghilew, un ballet sur la parabole du fils prodigue de l'Évangile selon Saint Luc.
Le scénario de Boris Kochno suivit les grandes lignes de l'histoire biblique, mais avec certaines modifications: une séductrice est introduite dans le deuxième des trois tableaux du ballet pour ajouter à la chute du prodigue, et le frère aîné envieux est remplacé par deux faux amis. Le ballet fut commencé en 1928 et produit, avec un décor de Georges Rouault et une chorégraphie très stylisée de Balanchine, au Théâtre Sarah Bernhardt à Paris le 21 mai 1929, dans un programme qui comprenait également la première de Renard de Strawinsky, chaque compositeur dirigeant sa propre oeuvre (ce fut la dernière production de Diaghilew, qui mourut trois mois plus tard). Prokofjew adapta par la suite des parties du Fils Prodigue dans la Suite symphonique en cinq mouvements enregistrée ici, qui fut entendue pour la première fois le 7 mars 1931 à Paris, en plus d'incorporer une partie de la musique dans la quatrième Symphonie, Op.47 et dans les six pièces pour piano, Op.52.
Le régisseur de Diaghilew, Serge Grigoriev, déclara que la partition du Fils Prodigue de Prokofjew était „la meilleure qu'il ait composée pour nous“, et il rappela également que le compositeur et l'impresario avaient été déçus par la chorégraphie „intellectuelle“ conçue par Balanchine, et que Diaghilew, contrairement à sa pratique habituelle, avait insisté pour que l'ensemble de la distribution interprète pleinement ses rôles, en faisant preuve de toute l'émotion nécessaire. Les rythmes brutaux et les dissonances dures d'Ala et Lolly et de Chout ont presque disparu, et nous trouvons à leur place une économie d'écriture, un sens de l'humour et un lyrisme dans lesquels nous reconnaissons immédiatement le Prokofjew des ballets ultérieurs, notamment Roméo et Juliette, Op.64 (1935-6).
Les cinq mouvements ne donnent pas la musique dans l'ordre du ballet lui-même, mais représentent un remaniement de la partition pour le concert.
Le premier mouvement, dans lequel un lyrisme chaleureux alterne avec des rythmes de danse entraînants, est principalement basé sur le n° 1, „Le départ“, mais contient également des éléments du n° 5, „Le fils prodigue et la séductrice“.
Le deuxième mouvement combine la musique de deux numéros du ballet, en commençant par un extrait du numéro 2, „La rencontre avec les amis“, et en se tournant ensuite (avec le solo de trompette) vers le numéro 6, „Le carrousel“.
Le troisième mouvement, qui ressemble à un scherzo, avec ses “huilleuses“ parties de clarinette, est quant à lui uniquement consacré au n° 7, „Le vol“.
Le quatrième mouvement commence et se termine par la sombre musique du n° 8, „Éveil et remords“, mais renferme l'éloquente section centrale du n° 10, „Le retour“
Le finale commence par l'introduction du n° 4, „Danse des hommes“, mais bascule ensuite (à l'apparition de la sinueuse mélodie de violon en si mineur) vers la seconde moitié du n° 2.
Ernest ANSERMET et son Orchestre de la Suisse Romande enregistrèrent la Suite Scythe, Op. 20, et la Suite symphonique du Fils Prodigue, Op. 46bis, de Sergei PROKOFJEW les 1er, 5, 6 et 7 novembre 1966, bien entendu dans le Victoria Hall de Genève. Le tout fut publié en septembre de l'année suivante sur Decca LXT 6308 resp. SXL 6308, puis en novembre sur Decca LONDON CM 9538 resp. CS 6538.
1. Adagio 05:41 (-> 05:41)
