Aimant les nouveautés et les nouvelles inventions, Sergei Prokofjew devait inévitablement écrire de la musique de film. La première occasion se produisit assez tard, en 1932, quand il fut invité à composer une partition pour „Lieutenant Kijé“, l’un des premiers films sonores soviétiques, réalisé par Alexander Faintsimmer, l'adaptation d’une nouvelle écrite en 1927 par l’écrivain soviétique Iouri Tynianov (1894-1943). L'histoire commence lorsque le follement militariste tsar Paul Ier (1754-1801) est tiré de son sommeil par un cri, à la suite d'une dispute entre deux courtisans. Furieux, le tsar exige de ses fonctionnaires qu'ils lui présentent le coupable, tandis qu'un greffier troublé inscrit, à la suite d’une erreur de transcription, le fictif „lieutenant Kijé“ sur une liste militaire. Lorsque le tsar examine la liste, il est intrigué par ce nom et demande que l'officier lui soit présenté. Trop terrifiés pour admettre que le lieutenant est une pure invention, n'existe pas du tout, les fonctionnaires de la cour commencent alors à raconter une histoire sur la carrière fantôme de leur création... Le lieutenant Kijé est ainsi né, il se maria, fut exilé en Sibérie, gracié, promu - colonel puis général - et décéda sans avoir jamais existé.
Prokofiev trouva l’histoire irrésistible: la piste sonore avec sa musique pétille de sa manière la plus simple et légère. Comme dans les opéras et ballets, le secret repose dans son don pour créer des images musicales vivantes qui peuvent résumer une scène, une humeur ou un personnage en quelques traits gras.
Harlow Robinson, biographe de Prokofjew, décrivit cette musique comme „une satire de la stupidité de la royauté et de la terreur particulièrement russe de déplaire à son supérieur“.
Comme la suite fut publiée par son éditeur habituel à Paris, la translittération française „Kijé“ - plutôt que l'américaine „Kizhe“ ou toute autre) fut adoptée dans le titre de l'oeuvre. Elle fut donnée en première audition le 21 décembre 1934, par le compositeur dirigeant l'Orchestre symphonique Tchaikowsky de la Radio de Moscou.
Ses cinq mouvements:
1. La naissance de Kijé
Ce premier mouvement est introduit par une fanfare de trompettes, lointaine et funèbre, jouée sur un cornet à pistons représentant un clairon. Suit une marche satirique enjouée avec caisse claire, piccolo et flûte. Les cordes interviennent avec une série d'accents martiaux, et le choeur de cuivres carillonne avec sa propre réponse avant que nous n'entendions le thème associé au fantôme Kijé. La marche et le thème du Kijé sont repris - cette fois au saxophone ténor - avant que la fanfare de trompettes ne vienne clore le mouvement.
2. Romance
Le matériau principal de Prokofiev est basé sur une vieille chanson folklorique, „La colombe grise gémit“. Ce thème est ensuite développé en faisant appel à une riche palette instrumentale. Le mouvement se termine par un retour de la chanson, maintenant agrémentée de chants d'oiseaux.
3. Le mariage de Kijé
Une mélodie large, cérémoniale et quelque peu pompeuse, pour cuivres et bois, ouvre ce mouvement. Un solo de cornet à pistons enjoué suit, ainsi que des variations sur le thème de Kijé. Le tout donne au mouvement un air de fête, à la fois endiablé et sentimental.
4. Troïka
La mélodie principale de ce mouvement est basée sur une ancienne chanson de hussard. La mélodie apparaît d'abord dans un énoncé lent et quelque peu dissonant, puis le rythme s'accélère: cloches de traîneau, cordes rapides en pizzicato et piano se combinent pour donner l'impression d'un voyage hivernal rapide au moyen de la troïka, un traîneau traditionnel russe à trois chevaux. Le voyage est accompagné à intervalles réguliers par le thème de l'air, qui clôt le mouvement sur une lente répétition de sa dernière phrase.
V. L'enterrement de Kijé
Ce dernier mouvement a été dépeint comme un adieu mélancolique et émouvant - en grande partie une série de réminiscences de la vie imaginaire de Kijé avec un retour de la fanfare de trompettes d'ouverture et une reprise du thème de Kijé, ainsi que de „La colombe grise gémit“, cette fois entrelacée avec la musique du mariage, puis, une dernière fois, la fanfare de trompettes.
La superbe interprétation de la suite symphonique „Lieutenant Kijé“, Op. 60, de Sergei PROKOFJEW proposée sur cette page date du 25 octobre 1962. Elle terminait un concert donné à Stuttgart par le «Südfunk Sinfonieorchester» (*) sous la direction d'Hermann SCHERCHEN, avec au programme:
-► Ernst Krenek, «Nach wie vor der Reihe nach»
-► Arthur Honegger, „Rugby“, Mouvement symphonique Nr. 2
-► Hermann Heiss, „Calamités“, «Schachtelgesänge»
-► Paul Hindemith, «Kammermusik» op. 24 No 1
-► Maurice Ravel, „La Valse“
-► Sergei Prokofjew, Suite du „Lieutenant Kijé“ op. 60
5 fichier(s) FLAC et 1 fichier PDF dans 1 fichier ZIP
(*) Le «Südfunk Sinfonieorchester», les dénominations de cette formation au cours du temps:
 
1946, Grosses Orchester von Radio Stuttgart  
1949, Sinfonieorchester des Süddeutschen Rundfunks  
1959, Südfunk Sinfonieorchester  
1975, Radio-Sinfonieorchester Stuttgart  
1998, Radio-Sinfonieorchester Stuttgart des SWR (Fusion des Süddeutschen
Rundfunks (SDR) mit dem Südwestfunk (SWF) zum Südwestrundfunk (SWR))  
2016, SWR Symphonieorchesters (Fusion des Radio-Sinfonieorchesters Stuttgart
des SWR mit dem SWR Sinfonieorchester Baden-Baden und Freiburg)