Alexander SKRJABIN
Symphonie No 2 en do mineur, op. 29
Orchestre symphonique de la radio de Francfort
Dean DIXON
24 septembre 1971
Salle d'émission de la Radio de Hesse
(«Funkhaus am Dornbusch»), Francfort
En janvier 1901, Alexandre Skrjabin, qui venait d'avoir eu vingt-neuf ans, sortait d'un désastre: l'échec de sa première symphonie (jouée sous la direction d'Anatoli Ljadow). Un témoin oculaire rapporte qu'au lendemain de la première de cette oeuvre en novembre 1900 à Saint-Pétersbourg, l'orgueilleux Scriabine s'était „frappé la poitrine et, dans un cri déchirant, s'était écrié: »Si seulement je garde la santé, je leur montrerai! Je vais leur montrer! Je vais leur montrer que j'ai encore quelque chose à dire!“.
Composée de janvier à septembre 1901, donnée en première audition le 12 janvier 1902 à Saint-Pétersbourg sous la direction d'Anatoli Ljadow, la deuxième symphonie de Skrjabin est vraiment née avec le XXe siècle. Dans son oeuvre symphonique, Alexander Skrjabin voyait grand, il voulait faire éclater de nombreuses formes, peut-être même toutes les formes habituelles. Parmi les grands musiciens de son pays, Alexander Skrjabin fut à la fois un des plus originaux et des moins “russes”, le seul à avoir été profondément influencé par Wagner et à n’avoir eu aucune attache avec le folklore et l’histoire. Il se forgea un langage personnel, largement affranchi des lois de la tonalité.
Sa seconde symphonie n'est pas une oeuvre symphonique conventionnelle en trois ou quatre mouvements: ce sont cinq parties purement instrumentales dans lesquelles Skrjabin a réalisé son idée préférée d'un enchaînement cyclique (dans sa première symphonie il avait déja appliqué un tel enchaînement cyclique, mais de façon moins stricte).
Fait inhabituel, chaque mouvement est composé dans une tonalité différente. Ils sont apparentés thématiquement, les deux premiers et les deux derniers sont enchaînés. Le troisième, le plus long, constitue le centre de gravité de l’ouvrage. C'est à la fin du quatrième que le thème cyclique éclate, dans une atmosphère triomphale. Skrjabin envisagea de réviser ce dernier mouvement, mais ne devait jamais accomplir cette tâche.
La mélodie en mineur des bois qui ouvre le premier mouvement revient dans le finale comme thème principal, joué alors par l'orchestre au complet, dans le forte. Le «Leitmotiv» du début de la symphonie hante également le deuxième mouvement, repoussant avec force la musique qui s'envole de manière légère et aérienne. Les interventions dramatiques des cuivres rencontrent les sonorités planantes et transparentes des cordes.
Après avoir examiné le manuscrit de la Deuxième, Anatoli Ljadow se serait exclamé: “Quelle symphonie est-ce là? En comparaison, Wagner est un bébé en train se sucer son biberon!”.
Lors de la première audition le public était en délire - d'indignation. On sifflait, on miaulait même et on huait. Un an plus tard, l'oeuvre polarisait encore. Après la première représentation à Moscou, la tante de Skrjabin écrivit: «Plus les uns se déchaînaient, plus les autres applaudissaient»; Anatoli Ljadow dans une lettre: «Le diable sait ce que c'est! Skrjabin peut hardiment tendre la main à Richard Strauss». Ljadow était convaincu que Skrjabin avait surpassé son modèle Richard Wagner dans le choix des moyens d'expression.
Bien qu’il n’ait jamais évoqué ouvertement de programme extra-musical, la succession des mouvements et la transformation des thèmes laissent à penser qu’Alexander Skrjabin tenta déjà, dans cette symphonie, de donner une forme musicale aux idées occultes qui commençaient à s’imposer à lui. Représentant typique du symbolisme en musique, adepte des doctrines mystiques dérivées des philosophies orientales, Skrjabin cherchera ensuite à atteindre dans ses oeuvres les limites de la densité sonore et des possibilités expressives, afin de créer un état d’extase spitiruelle et esthétique. Avec la troisième symphonie, dite le „Poème divin“ (1904-1905), il abordera les oeuvres à programme philosophique, et avec le „Poème de l’extase“ (1907) et „Prométhée ou le Poème du feu“ (1910-1911), qui constituent ses quatrième et cinquième symphonies, adoptera un style de plus en plus tendu et exacerbé tout en poursuivant un art de messie et de prophète.
Ces idées allaient bientôt le porter à déclarer: «Le monde extérieur est le résultat de mon activité spirituelle subjective», et plus tard: «Je suis l’apothéose de la création? je suis le but de tous les buts – je suis la fin de toutes les fins.» Ce narcissisme extrêmement pronconcé devait le conduire à développer un langage musical qui fit de lui l’un des compositeurs les plus radicaux de son temps; et, si ce développement n’en est encore qu’à un stade embryonnaire dans la deuxième symphonie, les traits les plus saillants de cette oeuvre préfigurent déjà les contours du style, si remarquable, de maturité.
Faire très attention à ce que le logiciel utilisé pour écouter les fichiers n'insère pas de pause entre ceux-ci, les 1er et 2e mouvements ainsi que les 4e et 5e mouvements étant certes nettement délimités, mais s'enchaînant!