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Alexander SKRJABIN
Symphonie No 3, op. 43, „Le divin Poême“
Orchestre Symphonique de la Radio Bavaroise
Rafael KUBELIK
1er et 2 mars 1973
7e concert de la saison 1972-1973

Sur cette troisième symphonie d'Alexander SKRJABIN, un excellent descriptif cité des superbes notes de Christof RUEGER (traduction de Pierre BALASCHEFF) publiées en 1980 dans le livret du coffret Philips 6769 041 - le texte est un peu long, mais il serait trop dommage de l'élaguer:

"[...] La consécration tant espérée de Scriabine symphoniste lui vint du „Divin Poème“, op. 43, sa Troisième Symphonie; la jeunesse musicale progressiste de son pays y voyait un pendant à sa célèbre Étude en ré dièse mineur, une synthèse accomplie des „éléments révolutionnaires et artistiques“ et une oeuvre parallèle au „Pétrel“ de Gorki. Âgé de 82 ans, le critique et allié du „Groupe des Cinq“, V. Stassov, écrivait plus tard au compositeur: „Avec cette symphonie, vous avez atteint à votre pleine croissance! Vous êtes déjà devenu un grand musicien. De cette manière, dans cette forme et cette structure, et aussi ce contenu, nul n'a encore composé dans notre pays!“ Et Ossovsky raconte: „Il nous semblait à l'époque que Scriabine avait avec cette oeuvre ouvert une ère nouvelle de la musique et que cette symphonie... montrait à la musique mondiale le chemin de l'avenir. Sur ce point nous étions unanimes: Scriabine est un génie et un guide vers l'art nouveau“.

L'oeuvre prit naissance en 1905 en Suisse, après qu'il eût été possible à Scriabine, grâce à une élève fortunée, de quitter son poste de professeur qu'il avait tenu pendant cinq ans au Conservatoire de Moscou, afin de se consacrer quelque temps, hors de Russie, à la composition. La première audition eut lieu à Paris, en mai de l’année suivante, sous la direction de Nikisch.

Nombre d'éléments nouveaux de cette oeuvre montrent qu'avec son voyage à l'étranger commençait une nouvelle phase du style de Scriabine. L'une des nouveautés consiste en un programme associativo-littéraire sanctionné par le compositeur; à propos de ce programme on ne peut que donner raison au critique Kachkine lorsqu'il écrit: „La musique de Monsieur Scriabine est mille fois plus riche par son contenu, ses pensées et sa poésie que tous ces programmes“. Plutôt que d'un programme explicite, on peut parler d'une certaine dramaturgie de cette oeuvre, qui a pour objet le déploiement héroïque de l'esprit créateur de l'homme.

Cette courbe de tension se déroule du prologue jusqu'au finale. Sur le chemin qui mène à la réalisation de soi, l'homme créatif, libre, doit surmonter de nombreux doutes, obstacles et forces négatives (on pense au „à travers la nuit vers la lumière“ de Beethoven, à la dramaturgie du dépassement de Tchaikovsky: „Pour devenir un optimiste, il faut étre passé par le désespoir et l'avoir vaincu“). Également nouvelle est la structure tripartite, qui - les trois parties s'enchaînant attacca - par la forme et aussi par le contenu tend vers le poème symphonique en un mouvement. La désignation „poème“ met d'ailleurs cette oeuvre en rapport étroit avec les deux ouvrages orchestraux ultérieurs et ultimes, les Poèmes „de l'Extase“ et „du Feu“ («Prométhée»). Il y a aussi des nouveautés sur le plan harmonique: le triton jadis prohibé a ici une fonction de base dans la structure de l'accord et l'égalisation mélodique; il y a beaucoup plus d'accords, triples ou multiples, altérés (partiellement en ré dièse) que traditionnels. Nouvelles encore, la polythématique de début et la pluralité des thèmes dans leur fonction dramaturgique; chaque thème a sa propre caractéristique d'expression, explicitant son contenu avec force. Ce langage montre clairement que le musicien Scriabine sentait et créait en dyonisiaque plus qu'en théosophe. Il y a encore nombre de nouveautés dans le domaine de l’instrumentation: l'accent est distinctement placé sur la phalange „d'airain“ des cuivres, il sont chargés des thèmes de force et de volonté et sont généralement mis en valeur dans des sections culminantes d'un caractère grandiose et majestueux.

Une fonction de devise est dévolue au thème du PROLOGUE, un impressionnant symbole en quatre mesures de l'héroisme et de la force de volonté (en deux parties: trombones, puis trompettes). Il parcourt l'oeuvre entière en qualité de leitmotiv, d'où dérivent des thèmes subséquents.

C'est d'une puissante expressivité gestuelle qu'est chargée sa seconde partie, le saut de sixte des trompettes, que Scriabine lui-même accompagnait du commentaire „Je suis!“. Rien que dans le premier mouvement Lento - Allegro, il apparaît cinq fois. Celui-ci porte le sous-titre „LUTTES“ et décrit - si l'on débarrasse le programme de son ballast philosophique - les conflits internes entre la dévotion (envers un dieu de sa propre création) et la dignité personnelle de l'homme, une lutte entre la soumission et l'affirmation de soi. Les gigantesques proportions extérieures du mouvement (972 mesures) découlent d'une forme sonate modifiée: interpolation d'un groupe „leitmotivique“ et d'un deuxième développement après la reprise. Les deux thèmes de l'Allegro sont perceptiblement issus du leitmotiv: le premier symbolise l'inquiétude intérieure, le doute angoissé du héros, cette „statique animée“ typique de Scriabine, cette fusion d'un envol gracieux et d'une sérénité contemplative, qui donne au sentiment l'occasion de s'épancher librement. Vers la fin de l'exposition apparaît un nouveau thème, culminant, dont le début en triple accord prépare le terrain pour le retour de l'omnipotent „Je suis!“ (Noté: „fier, de plus en plus victorieux“).

Pour le développement de ce troisième thème, le compositeur utilise pour la première fois dans son oeuvre symphonique une terminologie qui servira plus tard pour les points culminants de sa création. Il s'agit des termes „DIVIN“ (qualifiant l'homme dans sa divine compréhension de soi) et „GRANDIOSE“, et à cet endroit le thème du prologue est pleinement exposé dans toute son ampleur. Le développement est richement assorti de commentaires: l'échelle s'étend de „mystérieux“ jusqu'à „un terrible effondrement“, en passant par „tempétueux“. Souvent ces indications se suivent à la plus brève distance: Scriabine veut représenter la simultanéité des états d'âme les plus divers par leur figuration dans le cadre le plus étroit. La deuxième partie du développement apporte des matériaux nouveaux: les violons présentent un thème suave et caressant de séquences, qui marque cependant par sa morphologie une tendance très accusée à un développement extatique, qu'il réalise ensuite effectivement dans le deuxième mouvement. Aux couleurs sombres, parfois tragiques, des développements, contrastées par une reprise quelque peu adoucie, la coda associe une représentation jamais obtenue auparavant de l'inquiétude et de l'agitation. Le dernier point culminant est obtenu par le (cinquième) retour du leitmotiv.

Le mouvement lent „VOLUPTÉS“ suit attacca. En compositeur qui s'inspire de la nature et ne fait usage dans sa création que d'associations naturelles, Scriabine peut avoir ici reproduit l'atmosphère d'une forêt baignée de lumière, comme celles qui donnent toujours à la peinture des paysagistes russes son charme particulier. Un chaud lyrisme se révèle à nous, et dans la section médiane nous entendons les bruissements détendus du bois, les appels des oiseaux et une flûte de pâtre. Le commentaire, enjolivé de philosophie, parle des „joies du monde sensoriel, de la nature, des „voluptés“ qui entourent l'homme et menacent de le terrasser. Alors doit s'élever des profondeurs de son être le sens du „SUBLIME“, qui l'aide à „surmonter l'état de passivité“.

Le thème de séquence déjà connu d'après le développement de l'Allegro forme la fondation de ce mouvement projeté en un tripartisme simple, qui finalement dépasse en raffinement coloristique tout ce que Scriabine a entrepris jusque là: la progression „avec un émerveillement accru“ mène jusqu'à une écriture à 32 voix (entre autres, deux harpes, cordes et vents diversement répartis) et à un frénétique climax fff. Il ne manque plus que l'indication „ESTATICO“, pour confirmer explicitement qu'il s'agit ici d'un prototype de ces culminations radieuses dont plus tard Scriabine fera des symboles de l'extase créatrice. Il est presque superflu de dire que le „Je suis!“ revient toujours dans les cuivres, de façon plus ou moins impérieuse, et sert encore à rappeler la conception fondamentale de l'oeuvre en général et de ce mouvement en particulier.

Le finale „JEU DIVIN“ représente en fait le pendant du premier Allegro avec ses „LUTTES“, mais se révèle beaucoup plus court. Les combats ont été livrés, la passivité est vaincue; ce qui demeure est l'ascension vers la créativité absolue (de la créature, pour rester fidèle au tableau). L'homme-dieu en tant que créateur de Dieu, souverain, créant sans contrainte («Jeu»). „L'esprit libéré de tout lien... se donne à une joie sublimée, à la libre activité, au jeu divin“. Les formes d’envol et de mouvement rapide de Scriabine, jusque là seulement ébauchées dans cette oeuvre, trouvent ici un large épanouissement. C'est alors une sorte de „marche volante“, car ce genre et son esprit foncièrement conquérant et dynamique impriment leur cachet à tout ce mouvement.

Celui-ci, exception unique, est en rythme binaire - à comparer avec les finales des deux symphonies antérieures; seule la coda le replace dans le tourbillon de la mesure ternaire, plus chargée d'émotion, plus impulsive. Les thèmes sont volontairement tirés des matériaux précédents; c'est ainsi que l'inflexion initiale du thème principal dérive de l'intervalle dominant „Je suis!“, et l'effet irrésistible de la coda (sa préparation est, cette fois concrétement, sous-titrée: „avec une joie extatique“) repose sur la métamorphose de ce thème de „voluptés“ du deuxième mouvement, qui à présent éclate lumineusement aux trompettes („Je voulais composer de la lumière en musique“). Le cercle se ferme par une double affirmation de ce „Je suis!“, symbole de la joie de vivre et de la fierté de la dignité humaine. Et pour finir, un solennel (on voudrait presque dire: „blanc“) ut majeur - anachronisme significatif pour une tonalité déjà consciemment mise en question.
[...]"

L'interprétation qui en est proposée ici provient d'un concert donné les 1er et 2 mars 1973 (7e concert de la saison 1972-1973) à Munich, Rafael KUBELIK dirigeait l'Orchestre Symphonique de la Radio Bavaroise. Au programme:

-►  Karl Höller, Fuge für Streichorchester
-►  Jean Sibelius, Concerto pour violon, Pinchas Zukerman
-►  Alexander Skrjabin, Symphonie No 3

Cette troisième symphonie d'Alexander Skrjabin est - à ma connaissance du moins - la seule oeuvre de ce compositeur dont Rafael Kubelik nous ait laissé un enregistrement:

        1. Introduction (Prologue): Lento              01:03 (-> 01:03)
        2. Luttes: Allegro - attaca                    22:19 (-> 23:22)
        3. Voluptés: Lento - Vivo - attaca             09:59 (-> 33:21)
        4. Jeu divin: Allegro - Vivo - Allegro         08:53 (-> 42:14)

Provenance: Radiodiffusion

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1. Introduction (Prologue): Lento


2. Luttes: Allegro - attaca


3. Voluptés: Lento - Vivo - attaca


4. Jeu divin: Allegro - Vivo - Allegro