Richard STRAUSS
Till Eulenspiegels lustige Streiche (Till l'Espiègle)
poème symphonique en forme de rondeau, TrV 171
Orchestre Symphonique de la Radio de Cologne
Hans SWAROWSKY, novembre 1960
La partition de „Till Eulenspiegel“ est datée du 6 mai 1895. Après «Macbeth», «Don Juan», «Mort et Transfiguration», ce poème marquait chez Richard Strauss un besoin de détente, une revanche du goût de vivre contre la hantise du tragique humain. C'est d'ailleurs une des expressions d'humour et de gaieté des plus achevées de la littérature musicale.
„Till Eulenspiegel“ est le type légendaire en qui s’incarne, pour le peuple allemand, le joyeux vagabond, celui qui tente toutes les fortunes et qui essaye tous les métiers, celui qui harcèle les prêtres. Il paraîtrait qu’un „Till Eulenspiegel“ ait réellement vécu au XIVe siècle. Du nom «Eulenspiegel» est venu notre mot „espiègle“, et cela suffit à définir le personnage. L’édition la plus ancienne de ces farces doit être au British Museum et a paru vers 1525. Strauss s’est un peu écarté, surtout vers le dénouement, du récit habituel de la vie de „Till Eulenspiegel“, qu’il a voulu dépeindre en un morceau symphonique en forme de rondo.
«Les Farces de Till Eulenspiegel» tel que présenté dans la brochure-programme de sa première audition à Genève le 23 février 1901 sous la direction de Willy Rehberg, complété par quelques passages d'un texte publié en 1924 dans une autre brochure-programme:
"[...] C’est dans le domaine des contes qui commencent par ces mots «Il y avait une fois» que l’auteur de cet important ouvrage semble vouloir nous conduire au début de son oeuvre; mais il nous fait comprendre en même temps qu’il fera passer devant nos yeux des tableaux empreints d’un caractère plus sérieux et qu’il ne s’en tiendra pas à la poésie enfantine des contes de fées. Une phrase dite par le basson traverse bientôt les douces sonorités des cordes; au basson succède le cor qui introduit un second motif que différents instruments, puis l’orchestre tout entier, viennent ensuite redire.
Cette première partie constitue en quelque sorte le cadre de l’oeuvre; les thèmes qu’elle comprend sont comme le milieu, l’atmosphère dans laquelle l’auteur va nous montrer toutes les farces que Till Eulenspiegel est capable de faire.
Sans sou ni maille et vêtu de haillons, Till Eulenspiegel promène à travers le monde son humeur aventureuse. Ce sont les cors qui soulignent cette fois le motif principal caractérisant Till, puis, après un brillant tutti et tandis que les altos accompagent en trémolo, la flûte fait entendre à nouveau le même thème; à la flûte succèdent le premier violon et les basses qui reprennent le motif de Till avec un rythme gracieux.
Le vagabond arrive à la ville au moment où le marché bat son plein, les commères sont assises auprès de leurs marchandises, elles bavardent à l’envi. Eulenspiegel avise un cheval, saute en selle et d’un coup de fouet lance la bête au milieu des fruits étalés! Un tumulte indescriptible s’ensuit et parmi les paniers renversés et la vaisselle brisée on entend les imprécations des marchandes .qui cherchent-à réparer les dégâts. Eulenspiegel s'esquive prudemment. C’est sous le costume d’un prêtre que nous retrouvons Till Eulenspiegel; le bon apôtre cherche à faire des dupes grâce au déguisement dont il s’est affublé; mais l’habit ne fait pas le moine et le fourbe se laisse deviner sous son accoutrement (la clarinette fait ressortir ironiquement le thème principal à cet endroit).
Le motif d’Eulenspiegel revient encore sous une nouvelle forme rapide et assouplie, qui lui imprime un caractère chevaleresque; c’est qu’il doit, dans cet épisode, nous dépeindre Till Eulenspiegel cherchant à plaire et faisant la cour à de jolies filles... Hélas, le pauvre garçon en est quitte pour ses frais et, furieux de son échec, il s’emporte et crie vengeance contre les cruelles. Mais la rencontre d’un groupe de bourgeois (ce sont les docteurs et professeurs de la ville) apaise subitement sa fureur; sa mauvaise humeur se change en moquerie; il leur propose aussitôt une thèse, absurde, bien entendu. Ce que devient cette thèse dans ces cinq têtes et la discussion «en cinq langues» et sans issue possible, qui s’en suit, c’est ce que montre un canon à la seconde qui passa en son temps pour un comble de dissonance et qui reste une délicieuse parodie d’une controverse pédante.
Till est satisfait; la façon dont il s’est joué de ces philistins a égayé son humeur; il ne les quitte qu’après leur avoir fait quelques vilaines grimaces (reprise par les bois, les violons et les trompettes du thème d’Eulenspiegel perçant au milieu des savants discours des professeurs) et poursuit sa route en sifflotant un petit air inoffensif... Mais, subitement un noir pressentiment le prend... — c'est qu’il y a, aussi, des gibets sur la route! — Il devient rêveur. La vision lointaine d'un bonheur possible passe, rapide... Mais il est trop tard pour changer de vie...
Le thème principal résonne et s'accélère de nouveau aux cors. Till Eulenspiegel poursuit sa course vagabonde toujours en quête d'une niche à faire ou d’un mauvais tour à jouer, son insolence ne connaît plus de bornes... Mais voici le tambour qui résonne, le vagabond a été pris par la police, il est traduit devant le tribunal. Les trompettes font retentir des accents menaçants auxquels le motif d’Eulenspiegel ne répond plus que faiblement, c’est l’accusé qui nie; par trois fois il nie effrontément, puis, soudain la peur le prend, l’heure de l’expiation approche... Till gravit maintenant les échelons qui conduisent à la potence et voici son corps ballottant au bout d’une corde de chanvre. Encore une dernière convulsion (indiquée par la flûte) et l’âme du vagabond s’envole.
Puis voici de nouveau venir la légende; elle vient s’emparer de Till et de son histoire, on parlera de lui à la veillée, on dira «il y avait une fois...» et l’orchestre semble répondre dans les dernières mesures: «un joyeux compagnon doublé d ’un fieffé coquin» [...]" cité de textes de ?? publiés dans la brochure-programme de sa première audition à Genève en 1901, et cette brochure-programme d'un concert du 11 octobre 1924 donné par l'Orchestre de la Suisse Romande sous la direction d'Ernest Ansermet.
Ci-dessus à droite: Hans SWAROWSKY en répétition vers 1965, un extrait cité de la photo de cette page du site qui lui est dédié (à gauche: Logo de la WDR3 avant le 4 avril 2004)
Richard Strauss, Till Eulenspiegels lustige Streiche (Till l'Espiègle), poème symphonique Op. 28, TrV 171, Orchestre Symphonique de la Radio de Cologne, Hans Swarowsky, novembre 1960
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